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Les écrivains fantômes

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Ce matin, j’ai vu passer une offre d’emploi sur le site Buzzfeed dans mon fil d’actualité Twitter.

Comme pour toute offre d’emploi, l’entreprise décrit sa sphère d’activité et le genre de candidat qui est recherché. Elle détaille ensuite les tâches relatives à l’emploi et la manière de poser sa candidature.

C’est là que quelque chose m’a titillé.

First: Create a profile on BuzzFeed and publish a number of posts that show off your internet chops and writing prowess. How well do you get the BuzzFeed voice and style? Of course, your posts should be geared toward a national or regional Canadian audience — whether that’s popular culture, lifestyle, identities and/or observations. Check out these posts to see what kinds of things perform the best on our site: http://www.buzzfeed.com/hot.

Then, and only then, send an application through Greenhouse with a link to your profile, your resume, and a cover letter with a paragraph or two about you and what you do. Please include links to other projects, writing, or fun stuff you’ve done online in your cover letter.

Traduction libre: D’abord, créez un profil sur Buzzfeed et publiez quelques articles qui démontrent vos compétences. […] Ensuite, et seulement ensuite, envoyez votre candidature.

Notez l’emphase, en gras, sur le First et sur le Then, and only then. C’est dire qu’un candidat ayant créé et diffusé des contenus viraux ailleurs ne semble pas éligible s’il n’offre pas gratuitement quelques perles à Buzzfeed pour qu’elle daigne considérer sa candidature.

Normalement, une entreprise de presse, ou toute autre entreprise qui engage des créateurs de contenu, qu’il soit écrit, imagé ou multimédia, demande à consulter un portfolio pour voir de quoi les candidats sont capables. Ce portfolio est généralement composé d’articles ou d’œuvres préalablement publiées, dans le cadre d’un stage, d’un autre emploi ou d’un projet personnel.

Mais dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, on demande aux candidats de publier non pas un, mais plusieurs contenus exclusifs sur le site avant même de songer à déposer leur candidature. Bref, de travailler pro bono pour se mériter un emploi.

Il n’y a pas grande surprise à cela quand on apprend qu’un des fondateurs de Buzzfeed est aussi cofondateur du Huffington Post, plateforme qui avait suscité la controverse à son arrivée au Québec parce qu’il payait ses contributeurs en visibilité.

C’est comme si un magasin de chaussures demandait à quiconque souhaite envoyer son cv au gérant de passer une ou plusieurs journées en boutique pour montrer qu’il est capable de vendre quelques pointures et de placer quelques boîtes. Bénévolement, bien sûr.

Il y a dans la mesure quelque chose d’extrêmement agaçant. Oui, on dira que les contenus recherchés pour ce poste sont des contenus à potentiel viral, des trucs superficiels qui ne nécessitent pas une grande recherche ou du travail de longue haleine. Malgré tout, s’il s’agit d’une tâche qu’on doit effectuer dans le cadre d’un emploi, celle-ci devrait être payée par le donneur d’ouvrage. Logique, non?

Ce qui m’agace, c’est que non seulement Buzzfeed alimente sa plateforme en contenus sans avoir à employer tous les candidats, mais elle ne s’engage pas non plus à payer ceux qui ne sont pas retenus pour le travail accompli. À quoi bon alors embaucher et rémunérer quelqu’un quand ils ont plusieurs à faire la même chose gratuitement?

C’est là une nouvelle tendance avec la croissance d’Internet, l’avènement des agrégateurs de contenu et des nouvelles technologies de l’information: comme on attribue de plus en plus — malheureusement— la valeur d’un contenu au nombre de clics qu’il génère plutôt qu’à son utilité du point de vue de l’intérêt public, on oublie tout le travail qui se cache derrière. La visibilité, voire la viralité, supplante la profondeur. C’est donc très risqué de niveler vers le bas, et c’est malheureusement trop souvent le cas.

AJOUT: L’éditeur de BuzzFeed Canada, Craig Silverman, a pris connaissance de ce billet. Il a été très sympa de tweeter une explication:

Ainsi, pour BuzzFeed, il s’agirait d’une manière d’évaluer les compétences des candidats qui n’ont ni la formation ou l’expérience. M. Silverman a également précisé que l’emploi concerne des créateurs de contenus et non des journalistes.

MISE AU POINT: Après avoir reçu plusieurs courriels concernant ce billet, une précision supplémentaire s’impose. Non, contenus non rémunérés n’égalent pas systématiquement contenus de piètre qualité. Les exemples positifs abondent. Le point central de cette réflexion tourne autour du fait que certains contributeurs sont rémunérés et d’autres non, de même qu’à la valeur qu’on accorde aux contenus, qu’ils soient journalistiques ou non.

3 réflexions au sujet de “Les écrivains fantômes”

  1. C’est drôle. Ici je parlerai des télévisions communautaires un peu partout au Québec qui prennent un peu n’importe qui pour faire leurs productions. Je ferai aussi le comparatif, avec moi, qui fait de l’entretien d’ordinateurs. Pourtant, j’ai été formé en production télévisuelle. Avec l’arrivée des gens ayant un baccalauréat en communication ou journalisme, il semblerait que, certaines entreprises, profitent de ces personnes pour leur faire faire tout. Caméra, montage, photos, sonore, écrit. Est-ce que les gens qui ont un B.A.C. ont reçu toute cette formation? Je ne crois pas. Ce qui me fait dire ici que, si quelqu’un avec un diplôme est capable d’écrire, je devrais être en mesure d’être journaliste. C’est un peu sarcastique mais j’ai déjà été refusé sur des offres d’emplois (candidatures) qui était beaucoup plus technique qu’écrit.

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    1. Pas faux du tout. Beaucoup de journalistes sont diplômés en plein de domaines sauf… en journalisme. De plus en plus – difficultés économiques oblige?- les travailleurs des médias doivent en faire plus et être plus polyvalents. Des genres d’individus-orchestre qui coûtent peu cher et qui font le boulot vite et bien, quoi!
      Mais c’est comme dans n’importe quoi: à vouloir payer peu cher, la qualité finit par en être représentative…

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      1. Vrai. C’est pour cela qu’il faut se parler et comprendre ce que l’un et l’autre fait… Pour, parfois, éviter qu’une personne soit « exploitée » dans un média.

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