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Desjardins: le symptôme et non le mal

Une nouvelle mini-controverse divise à nouveau la communauté journalistique ces jours-ci, après la parution dans La Presse de deux textes, coup sur coup, portant sur David Desjardins, dont la plume est parmi les plus appréciées.

Le chroniqueur, qu’on a notamment pu connaître sur Radio-Canada, dans Le Devoir et dans L’Actualité, sans oublier son long passage au Voir Québec, affirme qu’il n’arrive plus à vivre exclusivement du journalisme, et que c’est pour cette raison qu’il a cofondé l’an dernier une boîte de marketing de contenu.

Cette déclaration a tôt fait de faire réagir. Nombreux sont ceux qui croient que Desjardins s’est placé en conflit d’intérêts en travaillant des deux côtés de la clôture. On apprenait d’ailleurs aujourd’hui que Le Devoir a mis fin à son partenariat avec le pigiste, qui s’est aussi vu refuser le renouvellement de sa carte de membre de la FPJQ pour des raisons éthiques.

Le principal intéressé se défend entre autres en affirmant que le marketing de contenu est de plus en plus présent, et que sa manière de faire les choses est moins « hypocrite » que les pratiques qui ont cours dans les médias traditionnels. En plus, ajoute-t-il, il y a manière d’être créatif et d’évoluer dans le marketing de contenu sans sacrifier son éthique professionnelle.

Dans un long billet publié sur sa page Facebook, on le sent amer de la tournure des choses:

Faque, c’est ça qui est ça. Ma chronique d’adieu au Devoir sera publiée sur Facebook, plateforme qui, avec Google,…

Posté par David Desjardins sur mercredi 9 décembre 2015

Il est vrai que c’est très risqué, voire impossible, de concilier écriture journalistique et rédaction publicitaire, tout simplement parce que l’essence de la crédibilité du journaliste dépend de son indépendance envers toutes ses sources potentielles.

Mais est-ce encore possible de nos jours, alors que l’industrie semble être en crise et à la recherche constante de revenus pour parvenir à sa prochaine édition?

David Desjardins n’est pas le premier ni le seul à avoir répondu par la négative à cette question. C’est pourquoi, bien qu’on puisse être en désaccord avec son choix personnel, il faudrait y penser deux fois avant de lui jeter la pierre.

Je ne dis pas par là que j’approuve l’idée qu’un journaliste puisse aussi œuvrer dans le contenu publicitaire pour arrondir ses fins de mois; je crois simplement que la situation appelle une réflexion beaucoup plus grande que celle d’un David Desjardins, ou d’un autre, qui se demande comment joindre les deux bouts sans abandonner complètement sa plume. C’est l’industrie toute entière qui doit se pencher sur la question.

Car ce qui ressort de toute cette saga, bien au-delà du cas de dont il est question aujourd’hui, c’est encore et toujours la précarisation des emplois en journalisme. Une problématique qui ne date pas d’hier, loin de là.

Les cas de Desjardins et des autres qui ont fait le saut ne sont pas le mal qui ronge le journalisme; ils en sont le symptôme.

Les pigistes s’appauvrissent (un très intéressant billet de l’AJIQ ici) puisque les tarifs stagnent, voire s’amoindrissent; la concentration de la presse et les conventions collectives, de leur côté, diminuent le nombre d’emplois permanents dans les salles de presse. Les détails de la nouvelle entente au Journal de Montréal, indiquent que les plus jeunes employés ont du sacrifier leur sécurité d’emploi. Un exemple parmi plusieurs autres, rappelons-le, mais qui démontre à quel point il est utopique pour la relève de rêver à une longue et fructueuse carrière dans le milieu.

On ne peut repousser cette réalité du revers de la main en se disant que les choses finiront par s’arranger, que les « vrais » resteront et que les « autres » quitteront le navire.

Les « permanents » des grands médias ne peuvent pas hausser les épaules sans se sentir eux aussi concernés. Le marketing de contenu est une chose, mais n’oublions pas sa soeur jumelle, la publicité native, qui s’infiltre de plus en plus insidieusement dans les salles de rédaction des médias traditionnels, comme on a pu le constater lors du congrès de la FPJQ, il y a trois semaines. Ainsi, personne n’est à l’abri.

Le jeu en vaut-il la chandelle?

1 réflexion au sujet de “Desjardins: le symptôme et non le mal”

  1. En près de 40 ans dans l’industrie de la presse écrite, à quelques exceptions près, j’ai presque toujours mené simultanément carrières en publicité et en rédaction.

    Mis à part au Journal de St-Michel et au journal La liberté (Saint-Boniface, Manitoba), où j’ai exercé prudemment, evidemment au vu et au su de l’éditeur, mes deux métiers dans la même publication, je n’avais jamais exercé ces deux fonctions dans les mêmes publications. Justement pour éviter les situations de conflits d’intérêts. Conflits que je n’ai d’ailleurs jamais vécus ni à Saint-Michel ni à Saint-Boniface.

    Car depuis 1986, j’ai toujours été très strict en la matière, et tous mes éditeurs-employeurs savaient (dont le Devoir de l’époque qui le savait pertinemment) que je portais deux chapeaux. D’ailleurs… C’est suite à une erreur de ma part dans les pages du Devoir (qui me fut pardonnée), laquelle déclencha une réprimande sévère et fort justifiée de la part de Lise Bissonnette à l’endroit de ma maladresse, que je me suis doté d’un sévère code d’auto-éthique auquel je n’ai plus jamais dérogé. J’avais compris la leçon…

    J’ai lu attentivement le texte de David Desjardins et je suis intrinsèquement solidaire avec lui. Surtout que les cachets de pige sont, à de rares exceptions, des pitances et de la pure exploitation des médias à mes yeux.

    Jusqu’à preuve du contraire, son texte montre que ses occupations professionnelles étaient menées de façon étanche et qu’en conséquence, ses licenciements m’apparaissent injustifiés.

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