Médias

Boycottage de Meta: petite vague ou raz-de-marée?

Les représailles de Meta face aux médias canadiens, en réaction du projet de loi C-18, ne passent pas comme une lettre à la poste. Un mouvement de solidarité à l’endroit des producteurs de nouvelles et à l’encontre du géant numérique prend petit à petit de l’ampleur.

Pour ceux qui ne suivent pas trop l’actualité en période estivale, le boycott de Meta, société mère de Facebook et d’Instagram, a été lancé il y a une semaine exactement en réaction à la décision de l’entreprise américaine de bloquer l’accès aux nouvelles produites par des médias canadiens. Cette décision survient elle-même en réaction à l’adoption du projet de loi C-18, qui forcerait les géants du Web à verser une redevance aux médias d’information pour les articles de nouvelles qui génèrent un achalandage sur ces plateformes.

Déjà, la Fédération nationale de la culture et des communications, une branche syndicale affiliée à la CSN, avait réclamé, il y a tout juste un mois, que Québec et Ottawa retirent leurs publicités sur les GAFAM. Avant même l’adoption du projet de loi, Meta et Google avaient menacé d’empêcher leurs utilisateurs d’avoir accès aux contenus journalistiques canadiens.

C’est quand la menace a été mise à exécution par Meta, qui procède actuellement à des « tests », que le gouvernement a annoncé retirer ses billes le temps qu’un terrain d’entente soit trouvé avec le géant américain. Notons ici que comme Google demeure à la table de négociation, Ottawa n’a pas sévi contre le plus important moteur de recherche au monde. Il n’en demeure pas moins que comme mesure « préventive », Alphabet a jugé sage de ne pas lancer son robot conversationnel Bard au pays de l’unifolié…

C’est néanmoins un vent de fraîcheur quand on se rappelle la saga digne d’un théâtre d’été de la « taxe Netflix », que le gouvernement refusait d’appliquer…

Si le gouvernement du Québec a d’abord indiqué qu’il n’était pas encore temps d’emboîter le pas au fédéral, il a rapidement changé son fusil d’épaule: à peine quelques heures lui ont suffi pour réaliser l’enjeu démocratique de la chose.

Les Villes de Montréal, Québec et Longueuil ont aussi annoncé le même jour retirer leurs publicités du réseau social, après quoi l’Union des municipalités du Québec a rejoint la parade, démarrée par plusieurs médias tels que La Presse, Radio-Canada Québecor et Cogeco.

Depuis, les appuis se multiplient. Des sociétés d’État comme Loto-Québec, Hydro-Québec, la SAAQ et la SAQ, les chambres de commerces de Montréal et de Québec ainsi que  l’Association des agences de communication créative ont invité leurs membres à retirer leurs investissements publicitaires pour envoyer un message fort.

Plusieurs petits commerçants ont aussi fait de même à titre individuel. Leurs investissements publicitaires ne sont peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan de revenus de Meta, c’est le caractère politique du geste qui compte.

Bref, la liste s’allonge. Vous m’auriez demandé, il y a dix, cinq ou même deux ans, si un tel boycott surviendrait chez nous, je vous aurais dit non. Encore aujourd’hui, j’ai peine à croire qu’un tel mouvement a lieu, tant tous les cris d’alarme et les avertissements servis par l’industrie des médias et de ses artisans semblent être tombés dans l’oreille d’un sourd, sauf si leur survie est directement menacée, et ce, à très court terme.

Pour citer Stéphane Giroux, un ancien président de la FPJQ: « dire qu’on n’a pas besoin de médias parce qu’on peut s’informer sur Facebook, c’est comme croire qu’on n’a plus besoin d’agriculteurs parce qu’on achète notre bouffe à l’épicerie. »

Pour l’instant, le mouvement semblait se concentrer surtout au Québec, où l’enjeu culturel, et particulièrement linguistique, s’ajoute à l’enjeu démocratique. On apprenait cependant que ce jeudi, la Colombie-Britannique entrait dans le carrousel. Est-ce le signe que le ROC entend raison?

Ce sont des milliards de dollars en publicité qui convergent chaque année dans les coffres des géants du Web, qui accaparent actuellement plus de 85% de tous les revenus publicitaires numériques au pays (alors imaginez dans le monde!). On se rappellera qu’il n’y a pas si longtemps, ces entreprises faisaient tout en leur pouvoir pour éviter de se confirmer aux règles fiscales des pays où ils opéraient.

Maintenant, ils veulent continuer à engranger des profits grâce aux contenus que les médias publient gratuitement sur cette plateforme. Ils n’ont qu’à cesser de les publier, me direz-vous: or, de plus en plus de gens s’informent uniquement ou principalement via les réseaux sociaux. Comment informer si on ne rejoint personne?

Le boycott qui a cours en ce moment contre Meta amène cependant son lot de questions.

Je m’interroge: est-ce que ce mouvement est réellement en soutien aux médias canadiens ou n’est-ce que l’expression d’une frustration de voir une plateforme nous interdire le genre de contenus qu’on pourra y consulter?

Est-ce que les sommes qui n’iront pas à Meta seront automatiquement réinvesties en publicité dans les médias « traditionnels » canadiens et québécois? Et est-ce qu’elles le seront de manière pérenne?

N’oublions pas qu’une des raisons pourquoi l’industrie des médias a du mal à survivre depuis désormais plus de vingt ans est ce glissement des publicités traditionnelles vers le numérique, où les géants du Web offrent, pour un prix imbattable, des paires d’yeux que personne n’a jamais pu générer.

Soutenir un média local, c’est acheter local. Quelque chose que les annonceurs et les entreprises d’ici devraient se souvenir, eux qui sont les premiers à faire face à la concurrence des Amazon et Ebay de ce monde.

Ce boycott prendra-t-il fin lorsque Meta reviendra à la table de négociations? N’est-ce qu’un bluff ou entend-on réellement soutenir les médias d’information d’ici une fois que tout sera réglé?

Je mentionne depuis le début de ce texte que l’enjeu est démocratique. Pourquoi donc? Parce que les contenus créés par des journalistes canadiens pour des entreprises de presse canadiennes sont fondés sur l’intérêt public. Il s’agit d’informations qui éclairent les citoyens sur des situations diverses qui les concerne.

Une autre raison de la crise des médias est la facilité déconcertante avec laquelle on peut les décrédibiliser. Il suffit de plaider qu’une nouvelle est fausse pour qu’elle soit perçue comme tel, et l’inverse est aussi vrai pour les fausses nouvelles, dont un démenti n’a jamais autant de visibilité que sa publication originale.

Meta, Google et compagnie ne produisent aucun contenu d’actualité et n’ont mis pratiquement aucun mécanisme en place pour permettre à leurs utilisateurs de trier les vraies nouvelles des fausses nouvelles. Pourtant, ils bénéficient des revenus publicitaires et de l’achalandage que leur apporte la diffusion des nouvelles, quelles qu’elles soient. En autant qu’elles circulent.

Rappelons-le, parce que c’est toujours nécessaire: si vous ne payez pas pour quelque chose, c’est parce que vous êtes le produit qu’on vend. Ici, on parle de vos yeux pour des annonceurs, mais aussi de votre data, qui est devenu la devise du XXIe siècle.

Ce n’est pas non plus un caprice que les médias d’information souhaitent percevoir une redevance sur ces revenus: après tous, ce sont eux qui financent la production d’information. Et encore là, ce n’est pas parce que vous pouvez lire une nouvelle gratuitement qu’elle n’a pas de valeur ou qu’elle n’a rien coûté à produire, bien au contraire.

J’ose espérer que les récents événements soient le signe d’une réelle prise de conscience de la mainmise des géants du Web sur notre culture et notre capacité collective à être bien ou mal informé. J’espère aussi que cette prise de conscience s’accompagnera d’un souci réel de soutenir à long terme la production d’information locale afin de freiner la désinformation. Si on agit une fois qu’il est trop tard, il sera encore plus difficile de revenir en arrière.

Malgré tout, j’ignore si ce mouvement, qui s’apparente actuellement davantage à une petite vague qu’à un raz-de-marée, fera réellement plier Meta. Après tout, la somme des investissements retirés représentent pour l’instant une goutte d’eau dans un océan.

Tout laisse croire au début d’une guerre d’usure aux forces inégales. À suivre!

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