Médias

L’éducation aux médias et l’éducation citoyenne, pas seulement l’affaire des écoles

Ça prend tout un village pour élever un enfant, veut l’adage. Un constat toujours aussi vrai, surtout en ce qui a trait à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et à l’éducation citoyenne (ou civique), qui sont étroitement liées.

C’est ce qui ressort d’une table ronde ayant eu lieu jeudi dernier, organisée par le Centre québécois d’éducation aux médias et à l’information dans le cadre des Semaines de la presse et des médias.

En guise d’ouverture, l’animateur André Lavoie a demandé aux quatre panélistes invités s’ils étaient étonnés de la manière dont les jeunes s’informent aujourd’hui, donnant lieu à des réactions mitigées.

Le professeur de philosophie au cégep Éric Riendeau-Fontaine s’est dit « scandalisé », rien de moins, de voir à quel point les jeunes adultes démontrent « zéro point barre intérêt » envers l’actualité et l’information. « Pour eux, ce sont essentiellement les réseaux sociaux qui tiennent lieu d’information », a-t-il déploré.

Des propos qui n’ont pas étonné la consultante numérique bien connue Nellie Brière, qui attribue le phénomène au changement de génération. En effet, comme les plus âgés ne s’informaient pas en ligne jadis, mais lisaient un journal ou écoutaient un bulletin de nouvelles, les jeunes utilisent les applications mobiles pour se renseigner. « C’est un vieux paradigme qui donne l’impression d’un désintérêt pour l’information, mais c’est plutôt que celle-ci s’est transformée dans d’autres langages », a indiqué la spécialiste, soulignant que les médias traditionnels ne sont pas suffisamment familiers et audacieux pour investir ces plateformes et ces nouveaux langages.

Pour Mme Brière, la solution pour rattacher les jeunes à l’information passe par un meilleur financement des médias afin que ceux-ci développent des contenus et des formats susceptibles de rejoindre la nouvelle génération de consommateurs de contenus.

Emmanuelle Biroteau, agente de projet à l’Institut du Nouveau Monde, mais aussi enseignante, s’est faite l’avocate du diable. « Qui, à leur âge parmi nous, lisait des journaux? » a-t-elle demandé, précisant qu’il était exigeant de s’attendre d’eux à ce qu’ils s’intéressent à des contenus pour adultes pendant qu’ils construisent leur propre univers et leurs référents.

Enseignante au secondaire, Mélanie Gauthier abonde en ce sens. « Je ne suis pas étonnée (que les jeunes s’informent peu), mais ça m’inquiète », a-t-elle affirmé. Elle a pris sur elle d’enseigner à ses élèves à différencier les vraies des fausses nouvelles, mais aussi les journalistes des commentateurs, une tâche plus ardue qu’on peut le penser.

En effet, même un de ses stagiaires s’était fait prendre en croyant utiliser une information du Journal de Montréal, alors qu’il s’était alimenté au Journal de Mourréal, affirmant à tort que le Mont-Royal était un volcan.

Tous les panélistes se sont entendus pour dire que le milieu scolaire, incluant écoles et bibliothèques, constitue un terreau fertile pour semer la graine de l’intérêt envers l’information et les bonnes pratiques pour la consommer.

N’empêche que la tâche des enseignants est déjà lourde et que les contenus sont peu réglementés en ligne. Éric Riendeau-Fontaine se réjouit que les bibliothèques et les archives permettent d’accéder rapidement au savoir, mais a déploré l’absence de point de convergence de tous ces outils.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger les autres milieux dans lesquels les jeunes évoluent, a rappelé Emmanuelle Biroteau. « Un jeune qui va voir ses parents lires, ça va lui donner le goût de le faire, a-t-elle rappelé. C’est la même chose avec l’information. »

L’inverse est aussi vrai, a mentionné Mme Gauthier. Les jeunes qui s’informent et qui apprennent à distinguer le vrai du faux peuvent influencer leurs parents et leur entourage à être plus sceptiques et à faire des vérifications.

Car les adultes aussi ont besoin d’EMI, a réitéré Nellie Brière. « Il faudrait un accès à l’éducation en continu comme société. Savoir s’informer, c’est une chose. Savoir s’informer en ligne, c’en est une autre. Les adultes ne sont pas tous outillés pour s’informer eux-mêmes, alors comment garantir que leurs enfants le seront? »

La consultante est revenue à la charge: « C’est un enjeu de financement, a-t-elle martelé. Il faut financer la littératie numérique et la littéracie informationnelle, qui sont liées. Que ce soit via les bibliothèques publiques et scolaires, Radio-Canada, Télé-Québec, ça prend du financement pour que cette EMI percole auprès des parents et des jeunes par différents chemins. »

Mme Brière a aussi décoché quelques flèches à l’endroit des réseaux sociaux, qui ne font rien pour corriger le tir. En fait, quiconque a les moyens de commanditer des contenus peut influencer ce qu’on retrouve sur ces plateformes, et c’est un réel problème à l’heure actuelle. « Il faut réglementer ce qui se trouve sur les GAFAM, si on veut s’assurer que les algorithmes respectent un équilibre des points de vue », a-t-elle fait valoir.

J’aime citer et reciter cette parole d’Alfred Sauvy, qui incarne à mon avis toute l’importance de l’information rigoureuse: Bien informés, les gens deviennent des citoyens. Mal informés, ils deviennent des sujets.

Bref, à quoi destinons-nous la jeunesse?

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