Médias

Illogique transparence

La Ville de Brossard a récemment résolu de retirer ses avis publics des journaux. Ces avis seront désormais accessibles dans les édifices municipaux et sur le site Internet de la municipalité. Elle emboîte ainsi le pas à des dizaines d’autres villes qui, depuis que la loi le permet (2017), numérisent la diffusion de leurs avis.

En lisant le contexte joint au projet de règlement, on apprend que:

D’une part, la publication des avis publics sur le site web de la Ville est le mode de consultation privilégié des citoyens en raison de sa transparence et de son instantanéité. Il s’agit d’autant plus d’un outil centralisé permettant au public à la fois de consulter l’historique des avis publics. D’autre part, les directions nécessitant la publication de tels avis publics bénéficieront d’une plus grande agilité dans leurs opérations.

(…)

Ainsi, tout avis public donné pour des fins municipales n’aura pas à être publié dans un journal local, mais uniquement sur le site web de la Ville. Toutefois, des publications dans le journal pourront être faites en sus afin d’obtenir un plus grand degré de pénétration auprès de la population.

Or, derrière cette bienveillance se trouve une grande contradiction. Si on prévoit devoir publier certains avis dans le journal « afin d’obtenir un plus grand degré de pénétration auprès de la population », il y a là un aveu que la stratégie actuelle aura pour effet de restreindre cette pénétration. N’est-ce pas?

Je serais curieuse de savoir comment la municipalité a évalué que la consultation des avis publics est privilégiée en ligne par les citoyens. A-t-elle réalisé un sondage? Si oui, l’a-t-elle fait uniquement en ligne?

Rappelons-nous en 2018, la municipalité voisine de Saint-Lambert avait aussi retiré ses avis publics des journaux en se basant sur une consul­tation publique menée par la ville de Beloeil selon laquelle 72 % de la population ne consultait pas les avis publics dans l’hebdomadaire local. Or, cette statistique ne correspondait qu’aux citoyens ayant répondu au sondage en ligne, et qui consultent donc déjà le site de la municipalité. (Cette anecdote et d’autres savoureuses se trouve dans mon essai Extinction de voix)

On comprend surtout à la lecture de la mise en contexte que l’objectif recherché par la mesure n’est pas nécessairement de mieux communiquer l’information, mais plutôt d’offrir davantage « d’agilité » aux directions municipales.

On apprend aussi, via mon collègue du FM 103,3, que de cesser de publier systématiquement les avis publics dans les journaux entraînera une économie récurrente et annuelle d’environ 20 000$ pour la Ville.

Quand on sait que le plus récent budget de Brossard était de 225,8 millions de dollars, on réalise que l’économie est minime. Aussi bien dire une goutte d’eau dans l’océan.

Pour vous donner une idée de ce que cela représente, la somme allouée aux avis publics représente 1$ par tranche de 11 290$ dépensé par la Ville, à savoir 0.0001% de son budget.

Pour un journal hebdomadaire, la somme de 20 000$ peut représenter la moitié du salaire d’un journaliste à temps plein. L’impact est important, d’autant plus qu’on le sait, les médias et particulièrement les médias de l’imprimé, souffrent depuis maintenant des décennies de l’exode des revenus publicitaires vers les plateformes numériques américaines et de la diminution des abonnements payants.

Je n’avance pas ici que la perte de 20 000$ sonnera le glas d’un ou plusieurs médias. Cela étant dit, cela les privera, une fois de plus, de revenus leur permettant d’accomplir leur mission de surveillance de l’exercice des pouvoirs et de communiquer au public la manière dont les affaires publiques sont administrées.

Pour épargner un dix-millième de son budget, Brossard réduit donc la portée de ses avis publics. Quelle logique y-a-t-il là?

La véritable transparence, c’est de rendre l’information accessible sur une multitude de plateformes et de support pour rejoindre un nombre maximal de citoyens.Pas l’inverse.

Ce n’est pas un réflexe de tous les citoyens de se tourner vers le site Web des municipalités pour consulter tous les avis publics. C’est souvent par hasard, en feuilletant leur journal local, que les gens découvrent un projet pour lequel ils ont quelque chose à dire.

Penser le contraire, c’est se mettre le doigt dans l’œil.


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