Médias

L’ère post factuelle, ou l’asphyxie de la démocratie

On y était déjà, mais on se trouve désormais au cœur de l’ère post factuelle.

La vérité n’a d’importance que si vous choisissez d’y croire. Ou plutôt, ce que vous choisissez de croire sera votre vérité.

Dans cinq jours, on renouera avec un président qui, dans sa première administration, a introduit le monde entier aux faits alternatifs.

La liberté d’expression va primer sur la vérité, sur l’information. Qu’importe si ce que vous dites est faux. D’ailleurs au Canada, il n’est pas illégal de publier des fausses nouvelles.

Déjà, avec X, et maintenant avec Meta, qui a annulé son programme de vérification des faits. Bon, on se demandait s’il a déjà existé compte tenu du nombre de fausses informations qu’on retrouve sur la plateforme.

Surtout, même quand on essaie de signaler un contenu ou un compte comme étant fallacieux ou frauduleux, deux fois sur trois, on se fait répondre que ça répond aux standards de la communauté. (Croyez-moi, j’ai essayé.)

Tout ça alors que depuis un an et demi, les plateformes de Meta ne permettent plus la diffusion de contenus journalistiques canadiens chez nous.

Bref, maintenant, c’est le Far Web assumé. L’Internet n’est plus autorégulé. Le timing de l’annonce de Mark Zuckerberg est aussi intéressant. À quelques jours de l’inauguration présidentielle, bis, de Donald Trump, le patron de Meta s’est agenouillé pour baiser la bague du nouvel empereur du monde-autrefois-libre.

Il emboîte ainsi le pas à Elon Musk, qui a réhabilité Trump sur X (anciennement Twitter) et qui a fait de sa plateforme une machine de guerre électorale, se voyant récompensé par un poste important de conseiller spécial et chargé de réduire la taille de l’État, bien qu’on ne lui connaisse pas de compétences spécifiques en administration publique.

Il marche aussi dans les pas de Jeff Bezos, richissime propriétaire d’Amazon, mais aussi du Washington Post, qui avait stoppé in extremis la publication d’un éditorial pro-Harris durant la campagne électorale, entraînant du même souffle nombre de démissions dans la salle de rédactions et de résiliation d’abonnements. En début d’année, la caricaturiste Ann Telnaes a claqué la porte du quotidien américain après avoir vu sa caricature, représentant les patrons des GAFAM s’agenouiller devant Trump, censurée.

Quand la liberté de presse n’existe même plus au sein d’un média d’information réputé, c’est le signe que le loup est entré dans la bergerie…

Zuckerberg  a fait valoir que la liberté d’expression reprenait ses droits, son espace, comme si elle avait été brimée dans les dernières années. Que les journalistes qui vérifient les faits étaient une nuisance pour ce droit de tout dire, y compris des menteries.

 « Les vérificateurs de faits ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu’ils ne l’ont améliorée, en particulier aux États-Unis », a déclaré le patron de Facebook. Comme si la vérité penchait seulement d’un côté.

La vérité peut devenir mensonge lorsqu’elle est instrumentalisée ou tronquée.

Quand on sait que les entreprises derrière les réseaux sociaux ont des recettes qui dépassent la somme du PIB de plusieurs petits pays dans le monde, on doit se demander si le fait de les laisser agir librement est sain, surtout qu’ils se rapprochent de ce qui était, jusqu’à tout récemment, l’épicentre de la démocratie mondiale.

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En même temps, MM. Trump et Musk menacent de poursuites des médias ayant fait ombrage à la campagne du premier, comme sile fait de publier des informations qui désavantagent un candidat était un crime capital.

Ces attaques contre la presse démontrent un mépris profond pour l’un des piliers de la démocratie, le premier auquel on s’en prend lorsqu’on veut la faire s’effondrer. Ou à tout le moins l’asphyxier.

Tout ça est enligné avec la stratégie du doute, au cœur de la dissémination des fausses nouvelles.

Parfois, le but de la désinformation ce n’est pas de vous faire croire à une fausse nouvelle en particulier, c’est de vous faire douter constamment de toute l’information qui vous est présentée, y compris celle des institutions envers lesquelles on est censés avoir confiance.

Pourquoi? Parce que quand plus personne n’a confiance en rien, c’est facile d’en passer des petites vites!  Parce que c’est facile ensuite de faire ce qu’on veut, plus personne n’y portera attention ou y croira…

Je dis souvent que la devise la plus importante sur la planète, bien plus que l’or ou le dollar, c’est l’information. Cette devise n’est pas censée avoir de taux de change.

C’est avec l’information que les individus peuvent prendre des décisions et agir. C’est grâce à l’information qu’ils peuvent comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Ainsi, comment construire une communauté solide, comment établir des liens sociaux si la vérité de chacun est différente? Comment bâtir quand personne ne partage les mêmes fondations?

Même si elle défend pleinement la liberté d’expression, la démocratie n’a jamais aimé le mensonge.

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