La Commission d’accès à l’information du Québec (CAI) a publié aujourd’hui un rapport faisant état de diverses problématiques en lien avec le traitement des demandes d’accès à l’information au sein des organismes étant assujettis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Elle y partage les résultats d’une enquête menée auprès d’un échantillon composé d’une trentaine d’organismes publics.
Sans surprise, bon nombre de répondants n’arrivent pas à respecter les délais de traitement prévus dans la loi, c’est-à-dire de fournir une réponse dans les vingt jours ouvrables, auxquels s’ajoute une période de dix jours de grâce si le traitement de la demande paralyse l’organisation.
« La Commission a reçu un nombre historique de demandes de révision pour motif d’absence de réponse dans les délais légaux. Depuis deux ans, celles-ci représentent près du tiers des recours de ce type qu’elle traite. Le portrait de la situation est très préoccupant », explique Me Diane Poitras, présidente de la Commission.
Or, on sait depuis très longtemps que plusieurs organisations considèrent le trente jours comme étant le délai usuel; malgré cela, certaines se permettent d’en faire fi.
Évidemment, la pandémie a eu pour effet de ralentir le traitement de certaines demandes, qui ont aussi augmenté en nombre et en complexité; on pense par exemple aux défis technologiques entraînés par le télétravail alors que des demandes concernaient des documents qui ne sont toujours pas numérisés. N’empêche, la crise sanitaire a le dos large, après deux ans et demi.
La CAI a par ailleurs relevé que les procédures pour gérer les demandes d’accès à l’information diffèrent grandement d’une organisation à l’autre, où elles sont parfois même inexistantes. Et pour cause: il n’existe pas de formation obligatoire ou de « mode d’emploi » offerts aux responsables fraîchement nommés. Ainsi, leur manière de traiter les dossiers variera en fonction de leur aisance avec la loi et de leur connaissance en matière d’accès à l’information.
En plus du manque d’effectifs et du volume élevé de demandes, l’un des défis auxquels font face les responsables de traiter les demandes d’accès concerne la complexité ou le caractère trop vague de celles-ci. Or, la loi stipule que leur rôle est d’accompagner les demandeurs pour préciser et clarifier leurs requêtes. Peut-être que de prendre un peu de temps, au moment de recevoir la demande, pour clarifier celle-ci, pourrait réduire le délai de son traitement?
Parmi ses recommandations, la Commission encourage la diffusion proactive de documents, surtout ceux qui sont régulièrement demandés: en effet, cela aurait pour effet de diminuer le nombre de demandes à la source. Elle suggère aussi la mise en place de politiques qui auraient pour effet de clarifier les rôles et responsabilités de chaque intervenant impliqué dans le processus d’accès à l’information, mais aussi de moderniser leurs pratiques.
Enfin, la CAI demande au gouvernement de modifier la loi, notamment en lui donnant plus de mordant afin de forcer la main aux organisations; celles-ci devraient être tenues de rendre davantage de comptes quant au traitement qu’elles font des demandes d’accès à l’information. La loi devrait par ailleurs être plus sévère face aux organisations fautives, qui ne répondent pas aux demandes ou qui ne respectent pas les délais sans justification. Rappelons qu’actuellement, des amendes sont prévues dans la législation, mais n’ont jamais été appliquées.
Certains des constats et propositions émis par la CAI se retrouvent dans mon essai Privé de sens (cité en bibliographie du rapport), qui soufflera une bougie dans quelques jours; en fait, il y a peu de nouveau dans ces conclusions, puisqu’il y a des années que des changements auraient dû être apportés à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels afin de la rendre plus coercitive.
Si aucune conséquence n’est imposée aux organisations les moins transparentes et les plus réfractaires à la transmission d’information, pourquoi celles-ci changeraient-elles leurs pratiques?
On continue de voir régulièrement des aberrations dans les médias; tout juste récemment, on a appris que la Société des Transports de Montréal avait tout tenté, y compris d’aller devant un juge, pour empêcher le dévoilement d’une étude, qui était déjà disponible en ligne..
Il est impossible de penser qu’une éventuelle refonte (qu’on espère désormais sous la gouverne du nouveau ministre responsable Jean-François Roberge dont, ironiquement, l’ancien ministère, soit celui de l’Éducation, figure parmi les cancres en matières d’accès à l’information) sera efficace si un changement de mentalité ne s’opère pas non plus au sein des organisations.
L’information, si elle est d’intérêt public et qu’elle ne compromet ni la sécurité publique, ni des négociations ni la confidentialité de certains dossiers, devrait de facto être divulguée. Il est temps que la chasse gardée du savoir, pour conserver entre ces mains un quelconque pouvoir (je dirais plutôt une apparence de pouvoir), cesse.
Lors de la création de la loi et de son entrée en vigueur, il y a quarante ans et trois semaines exactement, l’esprit derrière cette législation était d’informer la population pour en faire des citoyens plus éclairés, plus informés et donc plus actifs au sein de la société. Les pères de la loi croyaient que celle-ci serait tellement efficace qu’elle deviendrait naturellement inutile une fois la transparence quasi-totale accomplie.
Or, force est d’admettre que dès ses premiers balbutiements, la loi a été pervertie; son sens, réinterprété de mille et une façons, plus souvent qu’autrement pour retenir l’information au lieu de la partager.
Après quatre décennies, il est temps que ça change.