Pour marquer les cinq ans de ce blogue, je partagerai, pendant quelques semaines, ma tribune avec des collègues de différents médias et de différentes régions du Québec. Je les interroge sur leur vision du journalisme.
Cette semaine, Vincent Guilbault (@less_than_vince), directeur de l’information pour l’hebdomadaire L’Oeil Régional.
Qu’aimes-tu le plus de ton métier?
« Apprendre sur tout. Le bon journaliste régional doit écrire sur tous les sujets. Je maîtrise mieux des sujets qui me rebutaient avant comme le sport ou l’économie. Chaque jour, je me couche moins niaiseux, comme dit le dicton.
Les nombreuses rencontres; le métier force les rencontres avec des gens de tous horizons.
Le métier m’aide aussi à développer mon sens critique et à devenir un meilleur citoyen. Comme rédacteur en chef, je dois constamment donner mon opinion; pourtant, je n’ai jamais eux autant peu d’opinions tranchées depuis que je dois les nuancer. Mon métier me pousse à réfléchir. »
Qu’aimes-tu le moins de la profession de journaliste?
« Sa marchandisation. Le journaliste ne devrait jamais travailler avec des impératifs économiques en tête, mais la gratuité de l’information sur le web oblige le journaliste, ou tout du moins ses patrons, à penser aux clics.
L’information ne devrait pas faire partie d’une stratégie de revenu par une entreprise de communication; elle devrait faire partie de ses obligations. »
Qu’est-ce qui te rendrait la tâche plus facile?
« De travailler sans rendre de comptes, sauf à des organismes dont le seul devoir serait de surveiller la rigueur journalistique.
Aussi, [de compter sur] une plus grosse équipe de journalistes, pour en libérer quelques-uns le temps de fouiller de gros dossiers sans être obligé de rédiger quotidiennement. Je pense à une équipe de type «Spotlight», comme le propose le Boston Globe. »
Qu’est-ce qui ne devrait pas exister en journalisme?
« Les fausses nouvelles. On devrait poursuivre les sites web qui font la promotion de fausses nouvelles.
Et les sections commentaires. Je déteste que le travail journalistique soit mis sur le même pied d’égalité qu’un connard qui commente un article Facebook sans savoir de quoi il parle. Sinon, [il faudrait] s’assurer que le lecteur a lu la nouvelle avant de commenter. »
Quel conseil donnerais-tu à un jeune journaliste?
« Innovez, mais respectez ceux qui sont passés avant vous.
Écrivez! J’ai commencé à travailler parce que j’ai commencé à écrire.
Construisez-vous une carapace. Être à l’épreuve des coups est très important, surtout devant les gens qui parlent fort ou qui vous menacent. Mais ne transformez pas cette résilience en arrogance.
En entrevue… fermez votre boite. Vos interlocuteurs ont aussi horreur des silences que vous. Laissez-les remplir le vide, vous aurez vos réponses.
Développez-vous un sens de l’humour noir, ça va servir.
Bénissez les relationnistes. En travaillant à vous endormir, ils vous rendent souvent plus alerte. »
Quel conseil aurais-tu aimé recevoir d’un journaliste d’expérience?
« J’aurais aimé me faire dire que je me ferais parfois haïr. Aussi, que l’émotion l’emportera toujours sur la raison, peu importe le poids des arguments!
Le meilleur conseil que l’on m’a donné, c’est d’accepter la critique avec un grain de sel. On m’a déjà dit que tout le monde fait des erreurs, mais les journalistes, eux, les signent. Ça aide à mieux dormir. »
Qu’est-ce que le public devrait savoir sur le journalisme?
« Qu’il n’y a pas de complot! Comme rédacteur en chef, je n’ai jamais eu une seule fois une «commande» de mes patrons pour écrire ou non sur un sujet. Les journalistes n’ont pas d’agenda caché. Ils ne se contactent pas entre eux pour décider du traitement d’une nouvelle.
Qu’il y a une différence entre éditorial, chronique et article, même si la ligne est souvent floue! »
Carte blanche
« Je crois fortement au devoir d’éducation du journaliste. Au-delà du travail de rapporter la nouvelle, je pense que le journaliste doit aussi «influencer» le débat, malgré son devoir de neutralité et d’objectivité.
Je reste persuadé qu’une médaille n’a pas toujours deux côtés. Par exemple, c’est selon moi du mauvais journalisme d’accorder autant de crédit à des climatosceptiques qu’à des scientifiques dans une volonté de neutralité. Un journaliste devrait mettre de l’avant le consensus scientifique, au grand dam de l’objectivité pure.
Oui, le journaliste est un témoin des événements, mais ça reste un témoin intéressé, critique et souvent cultivé. »