Œuvrant dans des médias fragilisés, les travailleurs de l’industrie de l’information sont aux prises avec le syndrome du survivant, a affirmé Chantal Aurousseau, professeure au Département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal, lors d’une présentation offerte dans le cadre du Bureau fédéral de la Fédération nationale des communications, mardi matin à Québec.
Cette notion date de la période d’après Guerre et a été diagnostiquée auprès de survivants de l’Holocauste. Or, ce syndrome d’ordre psychiatrique est également observé en milieu de travail dans des entreprises gérant la décroissance ou opérant des transformations majeures, explique la chercheure.
Le phénomène se produit généralement chez des employés dont la relation avec leur travail est profondément chamboulée par ces changements, poursuit-elle. Augmentation de la charge de travail pour compenser le départ, volontaire ou non, de collègues; diminution de l’importance accordée aux détails et à l’éthique de travail; plusieurs conséquences de ces transformations du milieu et de la nature du travail sont susceptibles d’amener, chez certains travailleurs, une remise en question du sens à accorder à leur travail.
Ces changements peuvent aussi redéfinir le rapport de force entre les employés et leurs supérieurs, en minant la reconnaissance des efforts, en dégradant les conditions de travail et en créant chez plusieurs en sentiment d’impuissance ou un sens de la fatalité par rapport à la situation: la crise des médias est perçue comme étant immuable et sans issue. À force de voir des collègues perdre leur emploi et d’assister à la disparition d’autres médias, les travailleurs atteints du syndrome du survivant se demandent quand ce sera leur tour, comme si c’était quelque chose d’inévitable.
Mme Aurousseau énumère les symptômes les plus couramment observés chez les « survivants »: angoisse, colère, démotivation, sentiment de culpabilité (pour ne pas avoir pu empêcher la situation et pour être encore à l’emploi de l’entreprise, contrairement à d’anciens collègues), diminution marquée de l’engagement par rapport à son travail, perte du sens du travail, anxiété et un sentiment d’incompréhension, voire d’indifférence, de la part de ses supérieurs.
Le tout, si cela se généralise dans le milieu de travail, contribue à un marasme ambiant pouvant miner considérablement la productivité de l’équipe de travail.
En réaction, certains travailleurs sont portés à quitter leur emploi même s’ils ne sont pas menacés de le perdre dans l’immédiat (sentir la soupe chaude); d’autres pourraient sombrer dans une déprime ou s’absenter plus régulièrement du travail; enfin, d’autres démontreront une plus grande résistance au changement (méfiance).
Dans certains milieux, l’individualisme devient un réflexe de survie. On assiste au chacun pour soi, au sauve-qui-peut, qui rend difficile la mobilisation collective.
Selon la professeure, l’apparition de ces symptômes traduit l’échec de l’opération de restructuration de l’entreprise. Elle traduit également le bris du contrat psychologique existant entre l’Employeur et l’Employé, une transaction comportant une force de travail en échange de conditions de travail optimales.
Ainsi, appliqué dans le milieu de travail, le syndrome du survivant est d’abord et avant tout un problème de gestion et non pas un problème mental, comme un épuisement professionnel ou une dépression. La négation de cette réalité par les patrons ne ferait qu’amplifier ces symptômes, soutient Mme Aurousseau.
Ses recherches l’ont aussi amenée à conclure que les hommes et les travailleurs dans des postes de gestion ou professionnels sont moins susceptibles d’être affectés par le syndrome que les employés de soutien et les femmes.
Il serait facile de rejeter toute la faute sur les épaules des patrons, mais certains d’entre eux n’ont pas de contrôle sur la situation et sont aussi anxieux face à l’avenir, nuance la professeure.
La culture d’entreprise et l’attitude des gestionnaires sont toutefois cruciales pour mitiger le problème. La première solution serait de reconnaître les erreurs de gestion ayant mené à l’apparition des symptômes du syndrome. Or, rares sont les patrons qui souhaitent remettre leurs décisions en question ou qui peuvent admettre tout de go que la direction prise n’était pas la meilleure.
Quiconque a œuvré dans une salle de presse au cours de la dernière décennie a déjà été témoin de la situation dépeinte par Mme Aurosuseau.
Le fait est que les médias sont aux prises avec une crise de revenus et leur existence même est menacée. Or, personne n’a encore trouvé la « recette gagnante » qui permettrait aux entreprises de presse de stabiliser la situation.
Nous traversons une période difficile, car la manière de communiquer l’information est en train de se redéfinir. Beaucoup de joueurs ont déjà quitté ces navires qui prennent l’eau.
Mais l’information en tant que tel? On aura toujours besoin d’être informés, peu importe la manière. Du journalisme professionnel et rigoureux sera toujours nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.
Ne désespérons pas. De grâce.