Nous, les journalistes et les médias, traversons une période trouble. Figures publiques et rapporteurs de l’actualités, nous subissons l’opprobre d’un pan de la population qui a choisi de canaliser sur nous la totalité des frustrations accumulées depuis nombre d’années, jumelées à une épidémie de désinformation qui ne fait qu’accentuer la scission dans la société.
Cette semaine, donc, nous avons été plusieurs à dénoncer les attaques dont nous sommes la cible de plus en plus fréquemment. Nous avons reçu l’appui de nombreux syndicats, mais aussi des élus de l’Assemblée nationale.
En fait, ça fait un bon moment que la violence envers les journalistes gagne du terrain, aussi bien au Canada qu’au Québec, mais avec les événements récents en marge de la pandémie, celle-ci s’est exprimée de bien des façons, au point de dominer l’actualité des derniers jours.
J’y ai moi-même goûté, après la publication d’une chronique où je dénonce les nombreuses attaques verbales et physiques subies par les journalistes depuis environ deux ans. Il y a dans le fait de recevoir, en guise de réaction, la plus grande quantité de messages haineux que j’ai eue dans toute ma carrière, une délicieuse ironie.
Il se trouve des gens pour clamer haut et fort qu’ils sont contre la violence, mais que les journalistes et les médias méritent toute la violence dont ils sont la cible. D’autres qui passent désormais de la parole aux actes, comme en témoignent l’altercation en direct de manifestants avec son confrère Yves Poirier ou la « bousculade » impliquant le chevronné journaliste Raymond Fillion.
Sentant la soupe chaude, l’auteur de ce voies de fait, dont la photo a fait le tour des médias sociaux, a fini par se manifester et présenter de mièvres excuses, non sans sous-entendre que le journaliste l’avait mérité ou en propageant des informations qui se sont avérées fausses.
À cet effet, les manifestations du « Convoi de la liberté » ont culminé avec des épisodes de violence envers les journalistes. Beaucoup se sont prononcés contre la violence, mais ont affirmé que les médias méritaient l’opprobre qui les accable actuellement.
Les nombreux commentaires hargneux adressés aux médias et leurs représentants, aussi bien en ligne que sur le terrain, sont le symptôme d’une escalade de la désinformation qui vient à ébranler les colonnes du temple de la démocratie au point d’en déformer la définition même.
Comment se réclamer d’une société démocratique quand on s’attaque à l’un de ses piliers?
J’aime passionnément mon métier. Dans une véritable démocratie, le journalisme a pour principe fondamental la liberté de presse, c’est-à-dire la liberté d’écrire et de publier sur à peu près n’importe quel sujet, pour autant que les faits rapportés soient véridiques.
Cette liberté de presse est elle-même assise sur la liberté d’expression, un droit fondamental reconnu aussi bien par la charte provinciale que la charte canadienne. Un droit toutefois malmené depuis quelque temps, parce que ceux qui s’en réclament haut et fort en ignorent, sciemment ou non, les limites.
La liberté d’expression ne garantit pas le droit de dire tout ce qu’on veut et tout ce qu’on pense; dès que ces propos portent atteinte à autrui, cette liberté connaît sa frontière. Les dérives entourant la liberté d’expression seront d’ailleurs étudiées dans le cadre d’une Chaire de recherche dont la création vient tout juste d’être annoncée. Nul doute que les titulaires de celle-ci auront de quoi s’alimenter avec les événements des dernières semaines…
De voir ainsi des gens qui incitent à la violence, qui menacent des purs inconnus, tout simplement parce qu’ils ont été convaincus par je ne sais quel lavage de cerveau que les médias leur mentent, c’est déplorable. Ça peut aussi être criminel.
Certains ont rappelé ces jours-ci que de s’attaquer à la presse libre marque le début du totalitarisme. Je ne crois pas que nous basculerons de l’autre côté du miroir.
Mais le tout démontre qu’un immense travail d’éducation aux médias s’impose, ne serait-ce que pour que les gens fassent la différence entre des contenus d’opinion et les reportages soit mieux connue. Il faudra aussi outiller la population à la détection des fausses nouvelles et aux pièges qui les guettent en ligne. Déjà, le Centre québécois de l’éducation aux médias et à l’information est à l’œuvre, avec un succès certain auprès des adolescents.
J’en faisais déjà mention dans mon chapitre du collectif Prendre parole: le public adulte ne doit pas être laissé pour compte. L’intégration de notions d’éducation aux médias ou de recherche de la vérité devrait être effectuée dans les cours collégiaux de philosophie, mais aussi dans le cadre d’ateliers destinés à un public plus large.
Certes, les médias doivent tenter de regagner la confiance de cette partie du public qui les ont délaissés, mais ça ne sera pas en obéissant à leurs demandes de publier des faussetés qu’ils croient réelles. Ce sera plutôt en continuant de produire de l’information de qualité, obtenue au terme de recherches rigoureuses et dans un souci de neutralité.
Mais la violence ne nous bâillonnera pas.