Une belle victoire pour la liberté de presse.
Sur ce blogue, je prends souvent le temps de dénoncer des situations qui semblent aberrantes pour le travail des journalistes. Je crois qu’aujourd’hui, il importe de souligner une bonne nouvelle.
Le juge Alexander Michael Pless n’avait pas d’autre choix que de rejeter la demande d’injonction du Cégep de Saint-Hyacinthe à l’encontre du Courrier de Saint-Hyacinthe, tel qu’on l’apprenait dans l’édition imprimée de jeudi dernier.
On apprend entre autres, dans le reportage signé par Sarah-Ève Charland, que l’audience étirée jusqu’à tard dans la nuit, avant que le juge refuse d’acquiescer à la demande du Cégep, qui souhaitait empêcher la publication d’un dossier sur la crise de gouvernance de l’établissement, ce qui a retardé de quelques heures l’impression et la distribution du plus vieux journal imprimé de la province:

Ironiquement, souligne le média avec justesse, cette demande d’injonction pour censurer le journal avait été déposée le 3 mai, décrétée Journée internationale de la liberté de presse. Ça ne s’invente pas!
Cet exemple est une belle démonstration de ce qu’on appelle l’Effet Streisand, qui se produit lorsqu’en tentant d’étouffer une affaire, une organisation provoque l’effet inverse, c’est-à-dire qu’elle en augmente la visibilité ou la notoriété.
Heureusement, le juge n’a pas acquiescé à la demande d’injonction du Cégep de Saint-Hyacinthe pour empêcher la publication de l’enquête journalistique, le tout réalisé dans les règles de l’art par les artisans du Courrier. Il a reconnu que de censurer un média, surtout sans avoir lu le texte concerné, était une atteinte à la liberté de presse.
Les avocats du Cégep et de son directeur alléguaient que le document avait été obtenu illégalement. Or, ce rapport a simplement été partagé à la journaliste, qui a jugé bon d’en parler dans la foulée d’un autre article, cette fois publié par Le Devoir, sur les problèmes internes de l’institution.
« [Ces] avocats considéraient que la divulgation de ce rapport était illégale et visait intentionnellement à lui nuire», rapportait Mme Charland. C’est possible que la personne ayant coulé le document souhaitait nuire au directeur du Cégep; cette source confidentielle n’était pas présente pendant la nuit de l’audience pour expliquer ses motivations, alors on ne peut que supposer.
Toujours est-il qu’un journaliste doit être au fait des motivations de ses informateurs, et doit aussi en faire fi. Si Mme Charland a choisi d’écrire sur le contenu dudit rapport, c’est qu’elle a considéré que le tout était d’intérêt public pour le lectorat de son journal.
Avec raison.
Le sujet est évidemment d’intérêt public: plusieurs plaintes consignées dans un rapport à propos du dirigeant d’une institution bénéficiaire de fonds publics.
En guise d’aide-mémoire, voici les critères qui définissent une information d’intérêt public selon l’éminent Marc-François Bernier, dans son livre Éthique et déontologie du journalisme:
- L’information concerne un grand nombre d’individus;
- Elle est plus bénéfique que néfaste pour le plus grand nombre;
- Elle est utile pour éclairer les citoyens dans les choix qu’ils ont à faire;
- Elle favorise la participation à la vie démocratique;
- Elle concerne le fonctionnement d’institutions publiques ou la gestion de fonds publics;
- Elle ne profite pas seulement à quelques individus au détriment du plus grand nombre;
- Elle a un lien démontrable avec la sphère publique
Que le juge Pless ait pris le temps de rappeler que d’interdire aux journalistes d’utiliser des documents jugés confidentiels pouvait « anéantir [leur] capacité d’enquête » et qu’on ne pouvait pas présumer, avant publication, d’une erreur journalistique ou de la mauvaise foi de l’auteure, est réjouissant, surtout dans un contexte où les journalistes sont malmenés plus souvent qu’à leur tour, et ce, même quand ils font leur travail avec professionnalisme et rigueur.
Le Cégep et son directeur peuvent marteler que le rapport contient des faussetés, le traitement journalistique de l’article respecte le principe d’équilibre qui leur a offert l’occasion de s’exprimer avant publication. Outre les commentaires du président du conseil d’administration, légitimé par un diplôme honoris causa qu’on croirait sorti d’une boîte de céréales, le directeur général a décliné la demande d’entrevue de Mme Charland; il ne peut donc pas plaider qu’on ne lui a pas laissé l’opportunité de donner sa version des faits.
Le Cégep aurait fait parvenir une seconde mise en demeure au journal afin qu’il retire l’article publié la semaine précédente et qui faisait l’objet de l’injonction initiale, le tout accompagné d’une rétractation officielle et d’excuses.
Ceci n’est rien de moins qu’une tentative de remettre la pâte à dents dans le tube. J’espère, et je suis convaincue, que le Courrier ne cédera pas.
Si le Cégep de Saint-Hyacinthe estime que le travail journalistique de Mme Charland a été bâclé, il peut déposer une plainte au Conseil de presse du Québec, l’entité compétente pour en juger.
Ce qui est dommage avec cette histoire, une fois de plus, c’est qu’une organisation préfère tirer sur le messager pour se sauver la face plutôt que de se regarder le nombril quand l’eau se réchauffe.
Enfin, l’exemple du Courrier de St-Hyacinthe démontre une fois de plus le rôle vital que jouent les médias locaux au sein de leur communauté. Les Maskoutains, dont je suis, sont en droit de savoir comment sont administrées leurs institutions publiques et il revient aux journalistes de faire les recherches et de poser les questions au nom de leurs concitoyens.