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La guerre des hebdos, cinq ans plus tard

Voilà bientôt cinq ans qu’a pris fin cette fameuse « guerre des hebdos » qui a profondément transformé le visage de la presse locale au Québec. Une soirée à ce sujet a eu lieu lundi soir à Chambly en marge de la Semaine de la presse et des médias organisée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, donnant lieu à des échanges fort intéressants. Résumé.

D’abord, qu’est-ce que la guerre des hebdos? On pourrait croire qu’il s’agit de l’âge d’or des hebdomadaires au Québec, en raison d’un nombre de titres inégalé dans toutes les régions de la province, ou presque. Or, il s’agit plutôt d’une période à la fois sombre et faste pour l’information locale.

Tout a débuté au tournant des années 2010 lorsque Québecor, avec sa division Sun Media, a choisi d’acquérir de nombreuses publications indépendantes et de faire concurrence à TC Média (Transcontinental), non pas dans l’optique d’offrir davantage d’information aux citoyens, mais pour dominer le marché de la distribution au moyen du Sac Plus, en opposition au Publi-Sac de TC. Bref, l’objectif était de distribuer le plus grand nombre de circulaires possibles, et pour rendre ce sac publicitaire attrayant, valait mieux y mettre un journal.

Bref, pour être compétitif, Sun Media a fait dramatiquement baisser le prix des publicités, parfois jusqu’à 60% dans certains marchés. Mais cette guerre d’usure, quand on sait qu’il y avait un très grand nombre de journaux à se partager le même bassin d’annonceurs, n’aurait pu durer bien longtemps.

Et c’est en 2014 que Sun Media s’est avoué vaincu, cédant du même coup ses hebdomadaires à TC Media qui, jusqu’alors, avait créé des alliances avec des publications indépendantes ou ouvert d’autres journaux pour occuper le territoire et solidifier son propre réseau de distribution. Le Bureau de la concurrence a autorisé la transaction, mais a exigé que plusieurs titres soient revendus pour éviter des monopoles dans certains secteurs. Résultat: une vingtaine d’hebdomadaires n’ont pas survécu à la guerre des hebdos.

Julie Voyer (Gravité Média) et Charles Michaud (Topo Local) - Photo Denis Germain
Julie Voyer (Gravité Média) et Charles Michaud (Topo Local) – Photo Denis Germain

Cinq ans plus tard, que reste-t-il de ces publications? La question a été posée à Marie-Andrée Prévost, présidente éditrice de Viva Média, Julie Voyer, présidente-directrice générale de Gravité Média et à Charles Michaud, ancien vice-président des Journaux régionaux chez Québecor (2006 à 2012)  et cofondateur de Topo Local, à Saint-Jérôme.

Force est d’admettre que la guerre commerciale que se sont livrés les deux grands joueurs a laissé des traces profondes dans l’industrie de l’hebdomadaire, a soutenu d’abord Mme Prévost. « Deux titans qui se livrent une guerre avec des poches sans fonds, ça dévalue un produit. Ça a mené au syndrome du magasin à un dollar », constate-t-elle.

Pourtant, ajoute-t-elle, les travailleurs des hebdomadaires devaient continuer de faire leur travail. La baisse du coût des publicités a fait mal à tous les joueurs, mais surtout aux médias indépendants qui demeuraient en place et qui ont été pris, malgré eux, au centre de ce combat. « Le représentant sur le terrain, qui doit vendre ses pages la moitié du prix, il perdait la moitié de sa commission aussi », rappelle-t-elle.

Le retrait successif des deux grands joueurs – TC Media s’étant défait de tous ses hebdomadaires entre 2017 et 2018 – envoie par ailleurs le message que les hebdomadaires ne sont plus une voie d’avenir. « Mais ceux qui demeurent dans cette industrie-là veulent encore tirer leur épingle du jeu,  indique Mme Prévost. Les gens ont acheté l’idée que les journaux, c’est fini. »

Pour sa part, Julie Voyer, qui avait eu pour mandat de TC Media de lancer plusieurs hebdomadaires en peu de temps pour contrer l’offensive de Québecor, affirme que les baisses de tarifs publicitaires survenues durant la guerre des hebdos – qu’elle juge « sans pitié », n’ont pas encore été rattrapées. « On a beau vouloir faire évoluer les tarifs, on ne peut pas revenir au montant que c’était avant. Les annonceurs ne sont plus prêts à payer ce prix-là », note-t-elle.

Charles Michaud, qui a agi comme colonel pour Sun Media pendant cette guerre, le reconnaît: « Les prix actuels s’apparentent dans certains cas à ceux de 1995 ». Et les deux mastodontes qui se sont affrontés étaient bien au fait des cicatrices que laisserait leur affrontement sur le terrain une fois celui-ci terminé.

Selon lui, la véritable crise des hebdomadaires a débuté bien avant la guerre des hebdos, au tournant des années 1980. C’est lorsque les publications ont cessé d’être vendues sur abonnement ou en kiosque qu’elles ont perdu la partie. En laissant aux publicitaires le soin de leur offrir leurs revenus et en s’intégrant au Publi-Sac, les hebdomadaires ont intégré l’industrie de la distribution, devenant ainsi vulnérables aux pressions économiques et mettant à mal leur indépendance journalistique.

Des communications plus que de l’information

Les trois intervenants s’accordent pour dire que les Villes gèrent de plus en plus leurs communications comme des entreprises, investissant davantage en relations publiques qu’en journalisme.

L’embauche de responsables de communication ou de relationnistes, dans les municipalités, est un phénomène somme toute assez récent mais de plus en plus important, où le contrôle de l’information vise à projeter une image positive des municipalités plutôt que d’informer réellement la population.

« Les équipes de communications comme à la Ville de Saint-Jérôme comptent plus de gens que notre équipe de journalistes », souligne à juste titre Charles Michaud, déplorant du même coup que pour des questions de salaire, plusieurs journalistes choisissent de passer du côté obscur de la force.

La loi 122, qui permet depuis deux ans aux municipalités de se soustraire à l’ancienne obligation de diffuser leurs avis publics dans un journal imprimé, a aussi de fâcheuses conséquences sur le droit du public à l’information, sans compter que souvent, ces avis et les explications en séance publiques relèvent d’un jargon incompréhensible pour la plupart des gens.

« Il va falloir que les citoyens revendiquent l’information », croit M. Michaud.

L’avenir réside-t-il dans le numérique?

Ayant mis sur pied un média local entièrement numérique, M. Michaud continue de croire en la nécessité d’une information de proximité de qualité. Mais à ses yeux, l’avenir ne réside pas dans les formats imprimés. « Les carottes sont cuites, a-t-il affirmé fermement. Je ne vois pas de plan d’affaires actuellement qui serait capable de faire vivre, à moyen ou long terme, de l’information sur un support en papier. »

Les autres panélistes sont en désaccord avec ce constat. « Je crois énormément au papier, a souligné Julie Voyer. Il faut effectivement revoir notre modèle d’affaires pour optimiser l’expérience du lecteur et diversifier notre offre, mais c’est encore possible d’avoir des journaux imprimés en croissance. »

De plus, relève-t-elle, son entreprise a reçu énormément de plaintes après qu’elle ait diminué le tirage du Courrier du sud, l’hebdomadaire de l’agglomération de Longueuil. Signe que les citoyens sont extrêmement attachés à l’édition papier de leur journal.

Marie-Andrée Prévost se dit elle aussi optimiste. « L’hebdomadaire gratuit est encore la vraie de vraie et la seule information totalement gratuite pour le lecteur, rappelle-t-elle. Pour consulter les nouvelles sur Internet, il faut avoir accès à un ordinateur, une tablette ou un téléphone intelligent, en plus de payer une connexion à Internet. »

Marie-Andrée Prévost, Viva Média - Photo Denis Germain
Marie-Andrée Prévost, Viva Média – Photo Denis Germain

La présidente et éditrice estime même que le virage numérique vers lequel le gouvernement dirige les journaux revient à « se jeter dans la gueule du loup ». « C’est un système qui n’est pas contrôlé et dans lequel il y a beaucoup trop d’iniquités », plaide-t-elle.

Elle croit toutefois que pour tirer leur épingle du jeu, les éditeurs d’hebdomadaires devront un jour où l’autre reprendre le pouvoir sur leur mode de distribution, particulièrement alors qu’un mouvement d’opposition au Publi-Sac commence à se faire entendre. Pour sa part, Viva Média a racheté des boîtes de distribution appartenant au Washington Post pour y disposer ses journaux sur le territoire.

« Ce qui me fait peur, explique-t-elle, c’est que les éditeurs prennent tous les risques en faisant imprimer et distribuer leurs journaux. Je suis convaincue que d’ici cinq ans, beaucoup d’éditeurs de journaux vont faire ce que j’ai fait. On n’a plus le luxe de payer pour des copies qui prennent directement le chemin du recyclage. »

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