Un article paru hier sur le site web d’un hebdomadaire de la Mauricie fait jaser la communauté journalistique. Il s’agit d’un reportage dans lequel deux journalistes sont allés voter par anticipation le visage voilé. Disons plutôt déguisés.
Le tout s’inscrit dans la foulée des électeurs qui, pour contester le droit aux femmes voilées de voter sans se découvrir le visage, s’acquittent de leur devoir de citoyen affublés de parures diverses masquant leur visage. Une tactique dénoncée par certains, encensée par d’autres.
Évidemment, la controverse suscite l’intérêt des médias, qui vont même jusqu’à créer des galeries photos d’électeurs masqués. D’un point de vue journalistique, voire sociologique même, il est intéressant, voire nécessaire, de documenter la situation, du jamais vu chez nous.
Mais, personnellement, je ressens un malaise vis-à-vis le traitement de l’information parce que les journalistes créent eux-mêmes la nouvelle en se mettant en vedette dans leur reportage. Plutôt que d’être de simples observateurs du phénomène, ils en font partie. Est-ce le rôle du journaliste? Pas vraiment à mon avis.
Il est aussi pertinent de s’interroger sur les raisons qui ont poussé les journalistes à tenter le coup. Par souci d’originalité? Pour obtenir des clics? Pour faire jaser? Quoi qu’il en soit, la rédaction de l’hebdomadaire a jugé d’intérêt public d’aller de l’avant avec le reportage.
Il arrive que les journalistes se mettent dans la peau d’autrui pour expérimenter quelque chose – on peut tester un produit, un service, faire l’essai d’un nouveau sport extrême, intégrer un groupe quelconque, etc. À mi-chemin entre le banc d’essai et le journalisme clandestin, la technique permet d’expliquer concrètement les tenants et aboutissants d’une situation ou d’obtenir un regard intérieur de la chose, ce qui ne serait pas possible si on réalisait le reportage « de la bonne vieille manière ».
Le meilleur exemple auquel je pense actuellement est l’incursion du journaliste de La Presse, Hugo Meunier, à l’intérieur de l’empire Wal Mart. Pendant trois mois, le reporter a travaillé pour la multinationale, nous faisant découvrir la réalité des employés de la chaîne. Un livre a également été publié au terme de l’aventure. Ajoutons aussi l’incursion du Journal de Montréal chez les Raéliens, il y a une dizaine d’années, même si c’était un reportage en apparence assez risqué pour les journalistes.
Or, sans rien enlever aux bonnes intentions des journalistes qui se sont prêtés à l’exercice, l’article dont il est question dans ce billet, en somme, ne fait que décrire le processus de vote à visage couvert. Un compte-rendu tout simple, qui explique de manière neutre les différentes étapes de la situation.
Qu’apprend-on de nouveau? Rien, il me semble. Il était déjà connu qu’il était possible de voter sans se dévoiler le visage, à condition de prêter serment; les journalistes n’ont donc pas réellement mis le système à l’épreuve, même si on titre « Expérience réussie ».
Il s’agit d’une réalité que tous les électeurs masqués ont expérimenté et qui auraient pu en témoigner. Le processus aurait aussi pu être expliqué par un représentant d’Élections Canada. Le fait que les journalistes aient eux-mêmes vécu l’expérience n’avait donc pas de réelle valeur ajoutée, à mon avis.
En somme, ce qui me met mal à l’aise, c’est qu’on a choisi de documenter un mouvement qui fait jaser, sans autre raison que d’être dans l’air du temps.