La semaine dernière, l’émission d’enquête J.E. diffusait un topo dans lequel un journaliste piégeait des cyberprédateurs après leur avoir donné rendez-vous sur Internet, se faisant passer pour un adolescent homosexuel enclin à faire des rencontres.
Ce faisant, une fois le rendez-vous déterminé, le journaliste et un caméraman se présentaient sur les lieux pour interroger l’individu ciblé, dont l’identité est naturellement (et heureusement) cachée.
En 2011, l’émission avait procédé de la même manière mais cette fois, en utilisant l’identité d’une jeune fille fictive. Deux volets avaient été réalisés, de même qu’un suivi en mai 2012.
Évidemment, convergence oblige, le topo a été annoncé dans les bulletins d’informations de TVA et a également fait l’objet d’une couverture assez large dans les Journaux de Montréal et de Québec.
Dans les faits, le journaliste coince un fautif en flagrant délit, d’autant plus que jamais, il n’a été lui-même solliciter des hommes avec le faux profil. Il n’a qu’attendu qu’un cyberprédateur se présente à lui.
Or, en tendant ainsi un « appât », le journaliste traverse une ligne très mince entre traitement de l’information et participation à la nouvelle.
Certes, les cyberprédateurs existent et il s’agit d’un fléau pour la sécurité des enfants. Mais la couverture journalistique du sujet ne devrait-elle pas s’arrêter au rapport des arrestations, des procès et des condamnations, voire des portraits statistiques effectués par les spécialistes?
Le rôle des journalistes est d’être témoins de la nouvelle. En la créant, le journaliste devient un acteur impliqué activement dans celle-ci, ce qui à mon avis ne l’empêche pas de témoigner d’un phénomène objectivement. En même temps, en prenant part de façon aussi impliquée à l’actualité dont il témoigne, on ne peut affirmer hors de tout doute qu’il dresse un portrait fidèle d’une réalité étant donné qu’il la provoque lui-même.
J’écarte ici le journalisme d’enquête, où en se basant sur des faits et des allégations vérifiées, le journaliste rassemble des informations qui pourraient éventuellement imputer un acte à un individu.
Il s’agit donc d’une pratique discutable du point de vue de la qualité de l’information qu’on y présente. Cette tendance est issue du besoin de fournir des reportages exclusifs, susceptibles d’intéresser un auditoire, mais malheureusement, on tombe souvent dans le sensationnalisme quand on s’y adonne. Voilà donc un effet pervers de la course à l’auditoire.
Les journalistes n’ont pas à faire le travail des policiers. Ils ne sont pas des justiciers, bien que beaucoup soient motivés par le désir de faire de leur monde un lieu où il fait mieux vivre.
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