Le secret de polichinelle s’est enfin confirmé, cet avant-midi, avec la nomination de Pierre-Karl Péladeau à titre de candidat péquiste dans la circonscription de Saint-Jérôme. Il avait pourtant démenti plusieurs fois cette rumeur et ce, encore très récemment.
Avant d’aller plus loin, ne mettons pas en doute les compétences de M. Péladeau. Homme d’affaires réputé, gestionnaire aguerri, il dispose de connaissances et d’un carnet de contacts assez impressionnant et dont plusieurs députés et candidats doivent être envieux. Si Monsieur souhaite servir les citoyens de la circonscription de Saint-Jérôme, nul doute qu’il a les ressources pour s’acquitter de cette tâche.
Mais les apparences font sourciller plusieurs observateurs de la scène politique et médiatique, bien évidemment. Les craintes exprimées lors de la nomination de M. Péladeau chez Hydro-Québec seront, ou sont déjà, décuplées à l’idée de le voir devenir député. Et cette possibilité peut se concrétiser, étant donné qu’il s’agit d’une grosse pointure péquiste dans une circonscription abandonnée par le député-vedette de la Coalition Avenir Québec Jacques Duchesneau.
M. Péladeau ne s’est jamais réellement caché de ses ambitions souverainistes, lui qui depuis le printemps dernier, présidait bénévolement le conseil d’administration d’Hydro-Québec. Peu de temps après le dernier scrutin, en septembre 2012, l’homme d’affaires avait contacté la première ministre Pauline Marois pour lui faire part de son désir de « servir ».
De ce fait, il avait quitté la direction de Québécor Média, dont il est encore le propriétaire toutefois. Cela n’a pas empêché de nombreux acteurs de soulever quelques doutes quant à la couverture future des activités de la société d’État, étant donné le lien direct entre l’Homme et bon nombre de journalistes.
Dans un des articles du collègue Paul Journet, le député de Mercier de Québec solidaire, Amir Khadir, soulevait quelques inquiétudes quant à cette nomination:
M. Khadir s’inquiète aussi pour la transparence et la liberté de presse. La concentration des médias est déjà très importante au Québec, note-t-il. Il faudrait éviter de nommer à la tête d’une société d’État un patron d’un empire médiatique pour s’assurer que les journalistes puissent jouer leur rôle de «contre-pouvoir sans aucune espèce d’attachement ou de restriction».
L’opposition aura désormais la crainte que son message ne passera pas «sans tamisage», rapporte-t-il.
Et voilà que se présente l’occasion que les deux hommes croisent le fer à l’Assemblée nationale, s’ils sont tous deux élus.
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec avait également réagi par voie de communiqué, affirmant que cette nomination chez Hydro-Québec « entretient une désagréable impression de proximité entre le pouvoir politique et médiatique ». Elle exprimait par ailleurs les inquiétudes suivantes:
La nomination politique de M. Péladeau place les journalistes de Québecor dans une situation inconfortable. Se sentiront-ils libres de couvrir de manière critique la société d’État ? Pourront-ils la scruter avec la même attention qu’une autre société publique comme Radio-Canada?
Le public pour sa part se mettra-t-il à entretenir des doutes sur l’impartialité de la couverture journalistique par Québecor des nombreuses controverses auxquelles Hydro-Québec prête flanc?
Un patron de presse ne peut pas être des deux côtés en même temps. La FPJQ croit non seulement à l’indépendance des médias par rapport à l’État mais aussi à l’apparence d’indépendance. Cette nomination jette malheureusement une ombre sur cette valeur fondamentale.
Encore une fois, cet ombrage, comme l’affirme la FPJQ, est visible car les méthodes d’affaires de PKP comme grand patron de Québécor étaient bien connues. Je cite ici Jean-Nicolas Saucier:
L’ennui avec M. Péladeau, c’est qu’il intervient parfois à sa guise dans le travail quotidien de ses salles de nouvelles. Je le sais, je l’ai vécu. À plusieurs reprises durant mon passage chez Québecor, en charge de l’actualité chez Canoë, j’ai reçu de mes patrons différentes requêtes. Des demandes que je trouvais parfois douteuses et que je remettais en question. Leur réponse ? « Ça vient d’en haut. » Lire ici PKP.
Ces mêmes inquiétudes refont surface presqu’un an plus tard, alors que M. Péladeau se rapproche encore du pouvoir d’un cran.
Cette candidature place donc les journalistes de l’Empire en fâcheuse position. Ce n’est pas sans rappeler, à plus petite échelle évidemment, la candidature du propriétaire d’un hebdomadaire de Saint-Jean-sur-Richelieu à la mairie. Sera-t-il possible pour les journalistes de Québécor de poursuivre la couverture « normale » et impartiale de la campagne électorale, voire des travaux parlementaires et des activités du gouvernement, si M. Péladeau et le Parti Québécois sont portés au pouvoir? Y aura-t-il pression en faveur du grand patron?
Le collègue au Soleil Richard Therrien abonde en ce sens lui aussi.
Mais à TVA, au Journal de Québec et de Montréal, à SUN News, osera-t-on critiquer sévèrement les décisions de Pierre Karl Péladeau et de son parti, même sans intervention de la direction? Et les médias concurrents se feront-ils accuser de manquer d’objectivité chaque fois qu’ils écorcheront M. Péladeau?
Bien sûr, en conférence de presse, M. Péladeau a affirmé que les journalistes de Québécor jouiraient d’une indépendance totale. Québécor Média a aussi diffusé un communiqué à l’effet que M. Péladeau ne s’impliquerait plus dans la gestion de l’entreprise familiale. Même si cette pression ne vient pas « d’en-haut », les journalistes peuvent quand même préférer se garder une petite gêne, pour ne pas se jeter eux-mêmes dans la fosse aux lions, qu’on se le dise… Et contrairement à M. Kalille, il est impensable que M. Péladeau songe à interdire toute couverture de la campagne électorale.
Et à l’inverse, il y a lieu de se demander si les médias et entreprises de la pieuvre Québécor seront favorisés advenant l’élection de M. Péladeau, tant d’un point de vue financier qu’informatif. Le Journal de Montréal aura-t-il un accès privilégié à certaines informations parce que son propriétaire entre dans le secret des dieux?
Seul l’avenir nous le dira!