La Presse a diffusé aujourd’hui un reportage traitant de la série baladodiffusée Serial, qui fait fureur aux États-Unis et même au Canada. La série suit une journaliste qui tente de prouver si un homme condamné pour meurtre est réellement coupable, ou non, du crime dont on l’accuse.
Avant de lire le texte, je n’avais jamais entendu parler de ce nouveau genre journalistique, où les auditeurs accompagnent la reporter au fil de son enquête. En plus de connaître, au compte-gouttes, les détails et nouveaux développements de l’affaire, le processus journalistique, incluant les nombreux va-et-vient, questionnements et embûches qui surviennent dans la démarche de la journaliste, sont détaillés:
[A]u fil de la série, des contradictions se manifestent. Syed est-il coupable ? Que faisait-il le jour de la mort de Lee ? Était-il à la bibliothèque, comme certains l’affirment ? Ces questions, exposées sans filtre par la journaliste, sont nombreuses, et cette dernière entraîne ses auditeurs dans les coulisses de son enquête presque en temps réel.
Les sources interrogées par Hugo Pilon-Larose ne s’entendent pas sur quoi penser de ce journalisme nouveau-genre, où le reporter, d’ordinaire effacé derrière les faits, fait partie intégrante du reportage et du documentaire. On se demande aussi si un tel mélange des genres pourrait être viable au Québec. D’un côté, on apprécie la transparence de la démarche de la journaliste, qui permet un rare accès à la profession de l’intérieur; de l’autre, on craint les conséquences que peut avoir ce genre de traitement de l’information, que ce soit par l’implication des auditoires voulant participer à l’enquête ou celle de la journaliste elle-même, qui y sacrifie un peu de son objectivité.
Ce n’est pas d’hier que les observateurs du journalisme se questionnent sur le mélange des genres et sur l’avenir de la profession. Alors que certains prônent un retour à un style plus traditionnel, c’est-à-dire l’étalage de faits, sans plus, d’autres croient plutôt que le salut du métier passe par la créativité.
Il y a certes certaines règles d’or du journalisme à respecter. Mais le fondement des « actes journalistiques » demeure l’information, la mise en lumière des faits ou d’une situation, et l’aspect « service public » de celle-ci. Dans le cas de Serial, il se pourrait bien que ce soit le cas, puisque certains éléments de l’enquête au cœur du reportage pourraient être entendus par la Cour au retour des Fêtes. Le journalisme sert à dénoncer les injustices, à faire réfléchir sur la société et à informer, voire rendre des comptes, sur les activités et décisions des décideurs, entre autres.
Dans les faits, plutôt que de soupeser ce qui est rapporté ou comment cela est fait, il faut davantage s’interroger sur la manière dont ces informations sont comprises. Est-ce que les interrogations de la journaliste de Serial, ses impressions ou son immersion dans son sujet remettent en question son objectivité, son honnêteté intellectuelle ou sa capacité d’analyse? Ces éléments permettent-ils au contraire une meilleure compréhension de l’histoire? Aident-ils l’auditoire à développer son esprit critique?
Si la démarche journalistique est effectuée selon les règles de l’art en matière d’éthique et que l’implication à la première personne de la journaliste ne laisse pas transparaître ses opinions et préjugés, alors pourquoi pas?
Alors que les médias traditionnels peinent à maintenir leurs auditoires, Serial relève l’exploit d’être si prisé par ses adeptes que ceux-ci sont prêts à financer une seconde saison. L’effet de nouveauté y contribue beaucoup.
Peut-être que le fait de traiter l’information au « Je », en partageant ses interrogations, ses échecs et ses succès, rend plus accessible le travail de la journaliste. Dans tous les cas, il contribue à faire connaître un métier qui peut être magique, mais aussi très ingrat. Si la méthode permet d’éliminer certains préjugés, voilà un point fort positif à la formule.