La nouvelle a été fort mal accueillie par la communauté journalistique québécoise: le géant médiatique TC Média (anciennement Transcontinental) supprimera 11 postes de journaliste (soit près de la moitié des emplois du genre) dans ses hebdos de l’île de Montréal.
En effet, nous sommes plusieurs à craindre pour la qualité de l’information des publications visées. En général, les hebdos comptent seulement un ou deux journalistes. Le contenu sera-t-il donc remplacé par des communiqués?
En partie seulement, semblerait-il. La rumeur court que pour compenser la perte des journalistes, les médias concernés auraient recours aux lecteurs eux-mêmes, qui pourraient contribuer à leur hebdomadaire en rédigeant des textes sur des sujets qu’ils considèrent eux-même d’actualité.
Loin de moi le désir de discréditer l’effort de ces nouveaux journalistes citoyens. Mais souvenons-nous que la production d’une information de qualité a un prix (somme toute relatif): le salaire d’un journaliste qui travaille selon des règles et des processus précis, la connaissance d’un milieu, mais aussi, la certitude d’un travail objectif et vérifié.
Le journaliste citoyen n’aura pas autant de temps à consacrer à la recherche pour ses dossiers, ne dispose pas des mêmes outils ni des mêmes accès. Et si les choses se compliquent, laisseront-ils tomber, faute de temps et de moyens, privant les lecteurs d’informations et d’enjeux importants à leur vie collective?
C’est ce que semble croire la Fédération professionnelle des journalistes du Québec dans un communiqué publié le 24 avril:
La suppression de postes s’accompagne en effet d’une réorientation du contenu des journaux qui réduit fortement la présence d’information de type journalistique. Par ce virage vers la vie de quartier, les hebdos choisissent de ne plus couvrir ce qui est déjà couvert par les grands médias, ce qui peut être légitime.
Mais le virage va plus loin. Les hebdos ne seront plus axés sur les nouvelles. Il y aura «une diminution de besoins en matière de recherche journalistique» indique une note de service du 23 avril. Les conseils d’arrondissement ne seront sans doute plus couverts sur place. Il n’y aura plus d’enquête journalistique, ni de dossiers, ni d’alimentation des sites web en continu.
Conséquemment, cela lui fait aussi craindre pour la qualité de l’information locale:
Il résultera de la nouvelle configuration des hebdos montréalais de TC Media un appauvrissement de la vie démocratique au moment où la société a besoin de plus d’éclairage journalistique sur les affaires municipales y compris au niveau local.
Imaginons un cas fictif. Un citoyen fait parvenir au journal le compte rendu d’une séance du conseil de quartier, peu élogieux des élus en place. Or, ce qu’on ne sait pas, c’est que l’auteur du texte est un opposant féroce aux autorités élues. Son résumé sera donc à l’image de ce qu’il pense et n’offre pas la contrepartie qu’un journaliste serait obligé d’inclure dans un reportage.
L’éditeur du journal devra-t-il vérifier la provenance de chaque « article » pour s’assurer qu’il n’y ait aucune controverse liée à la publication d’un tel texte? Et que dire de la possibilité accrue d’y retrouver des propos diffamatoires? Excusez l’expression, mais ça pourrait facilement devenir un free for all.
D’ailleurs, la FPJQ pose l’hypothèse que ce serait justement pour éviter la controverse que des postes de journaliste seraient coupés, ce qui peut sembler paradoxal. Ce ne l’est pas tant quand on constate que cette décision vient aussi empêcher les risques de déplaire à un annonceur ou à un élu municipal, qui aurait pour conséquence de miner les revenus publicitaires de l’hebdomadaire. (Eh oui, ça fonctionne encore comme ça):
Les quelques journalistes qui restent en poste consacreront leurs efforts à la réalisation de portraits et à la couverture d’activités exclusivement locales, comme des diners de Chambres de commerce. Mais la nouvelle orientation des journaux, proche d’un babillard communautaire, portera vraisemblablement à se tenir loin de tout ce qui peut porter à controverse.
Une vocation particulière
Un hebdo, c’est le miroir de la société qu’il représente. C’est sa capacité à décrire chaque petite parcelle de vie qui s’y trouve qu’il illustre encore mieux que n’importe quel autre média la vitalité d’un quartier.
Encore plus, l’hebdomadaire jouit d’une vocation toute particulière, c’est-à-dire qu’il sert à traiter de sujets qui ne sont pas couverts par les quotidiens. Si un quotidien est distribué sur son territoire, l’hebdomadaire abordera les thématiques plus locales et communautaires délaissées par le premier parce qu’il les juges trop pointus ou de moindre importance.
De plus, son caractère majoritairement gratuit (à peine une poignée d’hebdos sont encore payants) et livré chez les lecteurs (ils n’ont donc pas à faire l’effort de se le procurer), fait de l’hebdomadaire une plateforme attrayante pour les annonceurs.
Ceux-ci ne réalisent-ils pas que si le contenu journalistique local perd en qualité et en quantité, le média dans lequel ils s’annoncent ne deviendra qu’une simple circulaire et qu’ainsi, il perdront l’intérêt de ces lecteurs qu’ils cherchent tant à rejoindre?
C’est ça, un média. Du contenu journalistique qui ne peut pas exister sans la publicité, et une publicité qui est inutile si elle n’est pas accompagnée d’un minimum de contenu de qualité.
Personne n’est dupe.