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Justice: un terrain miné pour les journalistes

Aujourd’hui, le Conseil de presse du Québec (CPQ) rendait publiques des décisions dans le cadre de plusieurs dossiers portés à son attention.

L’une de celles-ci traite d’une carte interactive diffusée par le Journal de Montréal et sa plateforme soeur, Canoe. La décision détaillée ici.

Cette fameuse carte permettait aux lecteurs de savoir si des agresseurs sexuels vivaient dans leur quartier. Ils étaient localisés par secteur.

Techniquement, puisque les jugements sont rendus publics, l’identité des personnes condamnées – et parfois, des indices permettant de savoir dans quel secteur elles demeurent – le devient aussi. À prime abord, le journaliste n’a fait que synthétiser de l’information disponible afin de servir l’intérêt public. N’oublions pas que le facteur de proximité fait en sorte d’intéresser davantage les auditoires à des situations. La perspective qu’un potentiel agresseur sexuel demeure dans leur quartier a de quoi inquiéter.

Or, comme l’indique la décision du CPQ, le journaliste a fondé sa liste sur les comparutions en lien avec des accusations de nature sexuelle, sans égard du verdict de la Cour. Des personnes innocentées ont donc pu faire l’objet dudit reportage, même si elles n’étaient pas formellement identifiées sur la carte géographique. De plus, aucune vérification n’a été faite pour s’assurer que les adresses étaient belles et bien toujours exactes. Pour ces raisons, le Conseil de presse a retenu un premier grief:

Le Conseil est d’avis que ces inexactitudes déforment la réalité, exagèrent l’étendue du phénomène des agressions sexuelles et insécurisent inutilement des citoyens qui résident aux alentours des points de localisation identifiés.

Malgré tout, le CPQ a rejeté un deuxième grief selon lequel les médias concernés avaient fait fi de la présomption d’innocence, qui consiste à attendre un verdict de culpabilité avant de dévoiler certaines informations relatives au procès et, évidemment, à étiqueter l’individu visé par lesdites accusations. Le conseil y est toutefois allé de cette nuance:

Le Conseil observe cependant que le mis en cause s’est dangereusement rapproché du degré de précision à partir duquel il aurait été possible d’identifier des habitations exactes où résident les personnes visées par l’information publiée. Le Conseil croit que, dans ce cas précis, il n’est pas légitime de publier les adresses de personnes accusées de crime, sans avoir été trouvées coupables par un tribunal. La publication de cette information relève davantage de la curiosité du public que de l’intérêt public, sans compter que son dévoilement peut porter préjudice à la sécurité de l’accusé et de ses proches.

Ce cas illustre à quel point la couverture médiatique des affaires judiciaires est délicate. En cas d’erreur, les journalistes et les médias peuvent se retrouver eux-mêmes devant les tribunaux.

Il est déjà arrivé qu’une femme contacte un des journaux pour lesquels je fus journaliste, en se prétendant victime d’un présumé agresseur sexuel dont les frasques faisaient l’objet d’un procès. Bien que l’idée d’avoir un témoignage à visage découvert soit très alléchante, il a été décidé, par mesure de prudence, qu’aucune suite ne serait donnée à cette proposition. Pourquoi? Parce que le procès étant en cours et frappé d’une ordonnance de non-publication, nous aurions pu nous trouver dans l’eau chaude, parce que l’individu accusé n’a pas encore été déclaré coupable, et parce qu’il était impossible d’établir avec certitude que la dame en question était une des plaignantes dans l’affaire.

Parce que le rôle des journalistes est de témoigner du cours de la justice, et non de l’influencer, il faut être très prudent dans les faits qui sont rapportés. La tentation de donner trop de détails est parfois forte, mais il importe de s’en tenir aux faits et de demeurer neutre dans le traitement du procès.

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