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Un peu d’air, ça presse!

Hier était jour de budget à Ottawa. Pour bon nombre d’acteurs de l’industrie de la presse écrite, les attentes étaient grandes. Et elles ont été majoritairement déçues, à voir les réactions de plusieurs représentants des médias qui ont fait part de leur réaction.

En janvier, la ministre du Patrimoine Mélanie Joly laissait entendre qu’une aide serait accordée aux médias écrits, qui militent intensément depuis deux ans pour obtenir une bouée de sauvetage de la part d’Ottawa. La ministre disait avoir compris l’urgence de la situation. Était-ce du vent?

Le gouvernement donnait l’impression qu’il avait compris le message et qu’il tenterait d’insuffler un peu d’air frais à la presse écrite. Il a plutôt, pour adapter une expression rendue célèbre par Philippe Couillard, « soufflé sur les braises » de notre malheur « en mettant de l’avant des mesures si insignifiantes aux yeux de certains que c’est comme si rien n’avait été fait.

Il y a quelques jours, le Devoir annonçait qu’Ottawa prévoyait une aide de 50 millions pour les médias écrits. Déjà, cela semblait bien peu pour venir en aide à une industrie qui est présente dans des centaines et des centaines de communautés canadiennes. Cette enveloppe serait étalée sur cinq ans. Ce sont donc 10 millions par année qui serviront à soutenir la presse écrite, répartie pour tous les médias touchés. Le point positif de cette annonce, c’est que les sommes seront consenties par des organisations non gouvernementales qui devront préserver l’indépendance de la presse face à ces deniers publics.

Un court passage intitulé « Appuyer le journalisme local » concerne les médias d’information, dans le volumineux budget qu’on peut consulter dans sa totalité ici. Dans celui-ci, le gouvernement fédéral reconnaît que « de plus en plus de personnes s’informent en ligne et partagent directement leurs intérêts dans les médias sociaux ». Ottawa concède immédiatement que « bon nombre de communautés se retrouvent sans journal local pour raconter leurs histoires », sans toutefois établir de lien de causalité entre les deux. Pourtant, il y a une corrélation assez importante entre la consommation de nouvelles sur Facebook, par exemple, et l’affaiblissement des médias locaux, dont les revenus publicitaires sont vampirisés par le géant du Web.

On annonce ensuite la fameuse enveloppe de 50 millions, qu’on dédiera aux communautés mal desservies par un média local. On ne spécifie toutefois pas ce qu’est une communauté « mal desservie ». Est-ce un milieu qui n’a pas de média local? Un milieu dont le média local est menacé de fermeture? Espérons que l’étude des crédits budgétaires nous permettra de le comprendre.

Quand on sait à quel point certaines salles de nouvelles tirent le diable par la queue, on réalise rapidement que 10 millions pour tout le monde, c’est loin d’être assez pour reprendre son souffle.

Le regroupement Médias d’info Canada illustre pour sa part que les 10 millions promis annuellement représentent ce qu’il faut, environ, pour tenir une salle de nouvelles dans un journal quotidien de taille moyenne. Saupoudrer cette somme dans les milliers de communautés canadiennes laisse entendre qu’il n’en restera pas beaucoup pour financer du journalisme de qualité, plaide-t-on. L’organisation plaidait pour l’agrandissement du Fonds canadien pour les périodiques afin d’y inclure les journaux et de le financer à hauteur de 350 millions de dollars.

Un autre volet de la réflexion gouvernementale sur l’aide aux médias sera d’étudier de nouveaux modèles d’affaires permettant aux médias de recevoir des dons privés et de devenir, en quelque sorte, des organismes de bienfaisance à but non lucratif dont la mission serait de produire de l’information de qualité. On est loin des entreprises de presse qui cherchent le profit ici.

Dans une sortie commune, la Fédération nationale des communications et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ont indiqué que  ce ne sont pas que les petits médias locaux qui sont en difficulté, mais une majorité d’organisations dans l’industrie. Ces mesures sont encourageantes, souligne-t-on, mais elles ne permettront pas de placer des médias à l’abri d’une fermeture imminente.

À ce moment-là, la diversité des points de vue est mise en péril, a affirmé le président de la FPJQ, Stéphane Giroux. « Si d’autres journaux disparaissent, c’est l’accès à une information diversifiée et à des enquêtes sérieuses qui s’en trouvera d’autant réduite », craint-il.

Les deux organisations plaident toujours pour la mise en place de crédits d’impôt sur les masses salariales des salles de nouvelles. En ce qui concerne l’approche philanthropique avancée par le gouvernement, elles doutent que des mécènes abondent pour sauver l’information.  » Il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan. Les philanthropes canadiens sont déjà extrêmement sollicités et leur apport ne peut être qu’aléatoire, sans compter que les choix des grands donateurs sont rarement désintéressés. Si le gouvernement pense diminuer ainsi la mainmise des milliardaires et des grandes familles sur les médias en introduisant de telles mesures, il risque d’être déçu », plaide-t-on.

En outre, absolument rien dans le budget ne concerne l’application de mesures fiscales pour Netflix et Facebook, pour ne nommer que ceux-là. Bref, l’iniquité qui existe entre les producteurs de contenus canadiens décriée par plusieurs demeure. C’est ce qu’a dénoncé Québecor, un des rares joueurs de la presse écrite à ne pas réclamer d’aide financière des gouvernements pour financer ses opérations.

« Le gouvernement a une fois de plus choisi de tourner le dos aux entreprises d’ici, pour faire les beaux yeux aux géants étrangers du Web », a clamé Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor.

La FNC abonde en ce sens. « Le ministre Morneau a raté une belle occasion d’aller chercher l’argent dans les poches des Netflix, Google et Facebook, comme l’ont déjà fait plusieurs pays. Plusieurs géants étrangers ne paient pas leur part d’impôts et imposent une concurrence inéquitable envers les entreprises d’ici. La survie de la presse passe par un ensemble de mesures et celle-ci est en quelque sorte l’éléphant dans la pièce. Allons chercher l’argent là où elle est pour la réinvestir dans la production de contenus », a fait valoir sa présidente, Pascale St-Onge, qui aurait souhaité voir au budget des mesures pour encourager la publicité dans les médias canadiens et des engagements du gouvernement pour annoncer dans les médias du pays.

L’argument de ne pas vouloir taxer davantage les Canadiens ne tient pas la route, mais on continue, du côté du gouvernement, de marteler qu’une nouvelle taxe n’est pas une option. Pourtant, cette taxe existe déjà et elle est imposée par les fournisseurs de contenus canadiens. Ce qui est bon pour pitou n’est pas bon pour minou si le matou est américain, il faut croire…

Néanmoins, on ne peut pas être contre la bonne volonté du gouvernement. Oui, un effort a été fait. Mais il est loin d’être suffisant pour sortir les médias de la presse écrite de la crise qu’ils vivent actuellement.

Peut-être qu’avec une telle mesure, Ottawa voulait faire comprendre aux médias qu’il ne lui incombe pas de sauver à elle seule toute l’industrie. Sur ce point, le gouvernement aurait entièrement raison. Mais il aurait pu à tout le moins lui donner assez d’oxygène pour que des médias survivent assez longtemps pour se réinventer.

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