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Effet Streisand dans un décor enchanteur

Le plus récent épisode de l’éternelle gué-guerre entre les villes et médias locaux se déroule actuellement dans la bucolique municipalité de Sainte-Pétronille, sur l’Île-d’Orléans, qui fait face aux somptueuses Chutes Montmorency dans la région de Québec.

Bref, si le paysage y est magnifique, l’ambiance qui y règne actuellement l’est un peu moins.

Donc, à Sainte-Pétronille, l’administration et le conseil municipal ont eu la brillante (!) idée de mettre en demeure et de menacer de poursuite le journal local, un média communautaire Autour de l’île, dans l’optique de le décourager de publier des informations sur un conflit qui les oppose à une centaine de citoyens, eux aussi mis en demeure dans un autre contexte, avant les Fêtes.

Au cœur de cette controverse, l’embauche d’une nouvelle directrice générale ayant été remerciée pour « fautes graves » à son précédent emploi. Les citoyens, inquiets de cela, ont demandé – avec raison – des comptes à leurs élus, ce que comptait rapporter – encore avec raison – le rédacteur en chef de Autour de l’île, qui était présent à la séance du conseil municipal de décembre.

Voici quelques extraits de la mise en demeure dont j’ai obtenu copie et qui témoigne de la mauvaise compréhension ou de la mauvaise foi de la municipalité, qui estime que les inquiétudes exprimées par des citoyens sont diffamatoires (on nage en plein délire):

  1. Le processus d’embauche de la directrice générale n’est pas un point qui figurait à l’ordre du jour de la séance et les citoyens n’avaient pas l’opportunité de poser des questions sur cet aspect lors de la séance. Les citoyens ont utilisé le mauvais forum pour adresser leurs commentaires sur ce sujet et ils devaient passer directement par l’entremise de leurs élus de manière confidentielle. Le journal a comme mission de rapporter les affaires courantes de la Municipalité et ce sujet est de nature privée et n’aurait jamais dû être abordé dans le cadre d’une séance publique;
  2. Les faits qui concernent la directrice générale et son ancien employeur sont également des éléments de nature privée qui n’ont rien à voir avec les affaires de la Municipalité et qui n’ont pas à être rapportés publiquement;
  3. La directrice générale de la Municipalité est une employée municipale qui n’est pas une élue, qui ne fait pas de politique et qui a droit au respect entier de sa vie privée;
  4. Nous considérons qu’en diffusant un article préjudiciable contre la Municipalité et ses employés, le journal contrevient aussi à ses obligations contractuelles et à l’entente conclue avec la MRC;
  5. Il est inacceptable que le journal utilise les fonds publics qui lui sont remis par les municipalités locales pour publier des articles dans le but de dénigrer les employés municipaux et d’affecter l’honneur et l’intégrité des membres du conseil municipal.
  6. Il nous semble évident qu’il est préférable pour le journal, ses employés et ses administrateurs de ne pas publier l’article et de rétablir ses relations avec la Municipalité plutôt que de s’engager dans une situation litigieuse qui peut encore être évitée.

Je ne reprendrai pas ici l’intégralité des arguments déjà avancés par ma collègue Isabelle Hachey dans une excellente chronique. Toujours est-il que je souhaite revenir sur certains points de cette missive, jugée douteuse par des experts.

D’abord, le rôle primordial des journalistes est de couvrir les faits et gestes des administrations. Les charges publiques et la gestion de fonds publics sont accompagnés d’un devoir de rendre des comptes. Au nom de ses concitoyens, le journaliste est tenu de poser les questions et d’assurer une couverture de cette reddition de comptes. Il doit donc rapporter la réalité, ordre du jour ou non.

Les conditions d’embauche et les motifs de congédiement de la directrice générale ne sont pas du ressort de sa vie privée à compter du moment où cela touche sa fonction publique. On ne parle pas ici d’une caissière dans un commerce ou d’une ouvrière sur un chantier de construction, pas plus qu’on aborde sa vie familiale. Un fonctionnaire municipal, de surcroît le plus important de la municipalité, ayant commis une faute grave représente une information d’intérêt public que les médias doivent rapporter. Il est tout aussi légitime que des citoyens posent des questions, et cela relève des affaires publiques qui intéressent les médias.

En fait, la direction générale est un poste aussi important, sinon davantage que celui des élus municipaux; même si ce poste est comblé par une embauche et non une élection, il est névralgique dans le fonctionnement de la municipalité et c’est celui ou celle qui l’occupe qui est en charge de la gestion concrète des affaires courantes de la municipalité.

Par ailleurs, si Sainte-Pétronille considère l’embauche de son premier fonctionnaire comme une affaire privée n’ayant pas sa place dans les discussions en séance publique, je m’inquiète de savoir quelles autres informations de « nature privée » n’ont peut-être jamais été discutées devant les citoyens.

Ensuite, le fait que Sainte-Pétronille s’adonne à du chantage parce qu’elle verse, notamment via la MRC, des fonds au journal, n’a rien de surprenant et encore moins de nouveau.

Avant que la loi ne soit modifiée pour permettre à des municipalités de publier leurs avis publics en ligne, parce qu’il n’y avait plus de journal imprimé sur leur territoire, il était fréquent qu’une administration, déçue de la couverture défavorable d’un média à son endroit, retire ses avis publics et ses publicités pour les publier dans le média concurrent, plus complaisant. Parfois, la simple menace de le faire suffisait à faire entrer le média « dans le rang ».

Le problème, avec les médias régionaux, c’est que leur bassin d’annonceurs et de soutiens financiers est beaucoup plus petit. Ce faisant, ils ne peuvent pas toujours se permettre de perdre un commanditaire. Leur survie financière est constamment menacée. Ainsi, l’autocensure est une réalité, qu’elle provienne de la direction du journal ou du journaliste lui-même.

N’oublions toutefois jamais que le rôle premier d’un journaliste et d’un média d’information est de servir l’intérêt public et non pas celui de ceux qui le financent. En revanche, si Sainte-Pétronille pensait s’être achetée un cabinet de relations de presse en subventionnant Autour de l’Île, la municipalité s’était mis le doigt dans l’œil et pas rien qu’un peu.

Il n’y a que dans les régimes non démocratiques (pour ne pas dire les dictatures) que la couverture de presse sur le gouvernement est continuellement dithyrambique.

Par ailleurs, cette mise en demeure bâillon constitue une grave atteinte à la liberté de presse, enchâssée dans nos chartes des droits et libertés de la personne. La liberté de presse, qui découle de la liberté d’expression, garantit aux individus le droit de publier ou de ne pas publier certaines informations. Rapporter des faits n’a rien de diffamatoire si cela sert l’intérêt public.

On est donc, une fois de plus et une fois de trop encore, devant une municipalité qui préfère protéger jalousement son image en tirant sur le potentiel messager.

Effet Streisand

Cette histoire, rapportée par Radio-Canada, le quotidien Le Soleil et dans La Presse, est un excellent exemple de l’effet Streisand. Cet effet se définit par une tentative d’étouffer une affaire qui a plutôt pour effet d’en augmenter la visibilité ou la notoriété, notamment via les médias d’information. Même le Globe and Mail s’est intéressé à la crise qui secoue actuellement le village d’un millier d’habitants.

La bonne nouvelle est que la médiatisation de l’affaire a entraîné l’ouverture d’une enquête par la Commission municipale du Québec. J’espère de tout coeur que les conclusions de celle-ci remettront les roitelets de Sainte-Pétronille à leur place et dissuaderont d’autres municipalités de tenter de museler la presse locale à leur tour.

À noter ici la longue enfilade du président de la FPJQ, Éric-Pierre Champagne.

Je le répète souvent: le métier de journaliste est l’un de ceux que tout le monde pense connaître et comprendre, mais qui demeure un des plus méconnus et mécompris.

Cette méconnaissance est flagrante même auprès de personnes qui, en raison de leurs fonctions publiques, ont à côtoyer des journalistes sur une base régulière : les élus municipaux (et j’ajouterais, dans une autre mesure, les fonctionnaires municipaux).

La plupart d’entre eux pensent que les médias locaux servent à retransmettre, sans filtre aucun, leurs messages, à la manière d’un service de relations publiques. D’autres croient plutôt que les journalistes, quand ils posent des questions, sont des empêcheurs de tourner en rond, voire des emmerdeurs. D’expérience, j’ai compris que la longévité d’un élu dans son poste n’amenait pas toujours une meilleure compréhension.

Toujours est-il que cette perception erronée du travail des journalistes, qui rappelons-le, est de représenter le citoyen ordinaire devant les instances publiques pour obtenir diverses informations, dont la reddition de comptes qui accompagne les charges publiques et les postes électifs, mène parfois à certains conflits. J’en ai dressé une liste bien garnie, mais non exhaustive, dans mon premier essai Extinction de voix.

Malheureusement, et c’est ce qui est le plus triste dans l’histoire, le journal a choisi de ne pas publier l’article pour assurer sa survie. La présidente du journal, Brigitte Lachance, a démissionné.

Heureusement, l’histoire a fait grand bruit. Mais n’oublions pas que d’autres médias, dans d’autres régions, ont vécu des situations similaires et que le tout s’est déroulé dans la plus sombre des obscurités.

Je ne le dirai jamais assez: un média local est aussi solide que le soutien qu’il obtient de la population qu’il dessert.

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