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Les journalistes ne sont pas à vendre

On apprend ce matin que certaines agences de marketing se magasinent des journalistes pour écrire des textes et préparer des contenus qu’on veut « neutres », mais qui font la promotion de leur client, qui, dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, s’avère être l’Association des pompiers de Montréal.

On leur propose un tarif intéressant pour aborder la question de la manière qu’ils le souhaitent, mais à la condition qu’un lien vers le site internet du syndicat soit inclus dans le texte. Bref, le journaliste qui accepterait ce mandat ne serait pas aussi libre qu’on ne lui laisse croire.

L’Association des pompiers de Montréal n’a pas voulu accorder d’entrevue. Elle soutient par écrit qu’elle « souhaite simplement, en confiant ce mandat à l’externe (…) voir comment elle peut mettre de l’avant ce qu’elle a déjà annoncé avant les Fêtes, soit exercer un appel au boycott des Jeux mondiaux des policiers et pompiers 2017 (…) susciter un débat animé, par un gestionnaire web de communauté ».

Tout en précisant qu’elle s’attend à ce que ses fournisseurs respectent les règles éthiques, elle soutient que cette pratique est connue et que les « multiples comptes Twitter de personnalités, de tous les horizons, politiques et autres, en sont une preuve ».

Tant la FPJQ que l’AJIQ ont vivement dénoncé la demande qu’elles qualifie de publireportage déguisé. Et avec raison.

« Se servir de la crédibilité des journalistes comme service de relations de presse pour le compte de l’Association des Pompiers de Montréal est inacceptable. Le journaliste doit toujours exercer ses fonctions dans l’intérêt du public. Être rémunéré par un tiers impliqué dans le dossier sans en faire la mention se résume à du publireportage déguisé », écrit l’AJIQ.

En commanditant un contenu, quel qu’il soit et ce, peu importe le degré de latitude dont jouira l’auteur, on circonscrit automatiquement l’indépendance du journaliste. Il est vrai que certains seraient assez audacieux pour ne pas tenir compte de qui paie la note, mais plusieurs y penseront à deux fois avant de mordre la main qui les nourrit, précarité oblige.

Il y a un peu moins de deux ans, je me demandais s’il était éthique d’acheter la vérité. Je concluais que comme le contenu était commandité, cela amenait un flou sur la crédibilité à lui accorder. Dans le cas de ces « publireportages », on présente la vérité, oui, mais on la présente d’une manière qui nous convient.

Par ailleurs, on explique que la rémunération serait faite en fonction de l’achalandage que susciterait l’article, ce qui équivaut à évaluer la valeur d’un reportage au nombre de clics qu’elle suscite plus qu’au contenu et aux informations qu’il recèle. Cette manière de percevoir les choses ouvre la porte à des raccourcis intellectuels et à du sensationnalisme pour attirer les internautes. Que valorisant pour le journaliste…

« Nous respectons l’indépendance de vos opinions », est-il également écrit dans la requête envoyée par courriel.

En sous-entendant que les journalistes émettent leur opinion dans un article, en plus de leur imposer la publication d’un lien qui brise ainsi leur essentielle impartialité, c’est démontrer une grande méconnaissance de notre travail.

Car non, l’opinion et les valeurs du journaliste ne doivent jamais transparaître à travers ses reportages, pour le protéger de tout conflit d’intérêt apparent.

Cette histoire rejoint ainsi un autre fait d’actualité qui m’a fait sourciller cette semaine.

Il y a à peine quelques jours, le premier ministre Stephen Harper a fustigé Radio-Canada, en affirmant lors d’une entrevue à la radio que les journalistes de la société d’État ne partageaient pas les valeurs conservatrices. Il parle même d’une « haine » de ces valeurs. Il a le droit de le penser.

Plus tard, l’ex-chef de la défunte Action démocratique du Québec, avalée par la Coalition avenir Québec, Mario Dumont, a exprimé ses regrets de ne pas avoir été plus dur à l’endroit de SRC, ce qui aurait pu lui valoir plus de votes à l’époque, à son avis. Lui aussi a le droit de le penser.

Mais il est dommage de constater que ces hommes politiques, compte tenu de leur expérience auprès des médias, croient encore que certains journalistes sont de fins stratèges qui orientent leurs reportages pour leur nuire, tout simplement parce qu’ils constatent que la couverture à leur endroit ne leur est pas complaisante.

Le journaliste, comme individu, peut être en accord ou en désaccord avec les opinions qu’il recueille dans le cadre de son travail. Mais il est de son devoir d’observer une certaine réserve face à sa propre opinion, afin de ne pas orienter la perception que le public pourrait se faire de la situation rapportée. L’objectivité journalistique est un principe de base du métier, et c’est faire preuve de mauvaise foi que de remettre celle-ci en question parce qu’on n’apprécie pas la couverture qui est faite à notre endroit. C’est du moins, à mes yeux, ce qui semble transpirer de cette amertume à l’endroit des journalistes de Radio-Canada, dont plusieurs sont des modèles de rigueur.

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