Dans le cadre d’un projet de recherche, Mikaëlle Tourigny, étudiante à la maîtrise en communication à l’Université de Sherbrooke, s’est attardée aux dilemmes professionnels et éthiques auxquels sont confrontés les journalistes face à la publicité native.
Pour expliquer le recours de plus en plus fréquent à cette pratique publicitaire, où des textes commandités revêtent le style et la signature graphique de reportages éditoriaux, la jeune chercheure a campé son travail au cœur des transformations que subit actuellement la profession.
Selon Tourigny, le contexte professionnel du journalisme est instable: le métier n’est pas reconnu légalement, il n’est pas encadré par un ordre professionnel, il n’existe pas de cursus unique pour devenir journaliste et le métier repose sur plusieurs codes déontologiques différents. Ce faisant, n’importe qui peut se prétendre journaliste, les revenus et la sécurité d’emploi varient grandement d’un individu à l’autre, et très peu de règles définissent l’exercice de la profession.
Ajoutons à cela un « flou de l’éthique journalistique », avance Mlle Tourigny, qui s’ajoute à un phénomène de déresponsabilisation ayant débuté il y a quelques décennies et relevé par Armande St-Jean.
Ces deux facteurs combinés, en plus d’un essor fulgurant des nouvelles plateformes numériques, ont donc mis la table à l’avènement de contenus hybrides, notamment parce que tant du côté rédactionnel que du côté publicitaire, on a tenté d’être présent partout malgré le fractionnement des publics vers ces différentes plateformes.
« La publicité native est le symptôme de ce déséquilibre », a affirmé la conférencière, rappelant toutefois que l’hybridation de la publicité et de l’information ne date pas d’hier.
Mais parce que cette pratique émergente, où la promotion est abordée d’un point de vue journalistique, n’est ni encadrée ou définie de manière définitive, tout semble permis, Far West style (un commentaire ici totalement éditorial de ma part, mais assumé). À un point tel que la publicité native connaît une expansion fulgurante.
Selon des statistiques rapportées par Mikaëlle Tourigny, les investissements en publicité native étaient d’environ 5 milliards d’euros en 2005, une somme qui aura plus que quintuplé en 2018, où on prévoit que 28 milliards d’euros auront été déboursés dans ce type de promotion. « Aux États-unis, environ les trois quarts des médias d’information optent pour la publicité native », indique l’étudiante.
On ne peut aborder le sujet de la publicité native sans mentionner le malaise que ressent bon nombre de journalistes face à la pratique. Plusieurs ont le sentiment de vendre leur crédibilité au plus offrant, une crédibilité qui perd de sa valeur une fois qu’elle a servi à mousser les intérêts commerciaux d’un annonceur. Certains estiment que la publicité native les détournent, eux, mais aussi le public, de la mission fondamentale du journalisme qui est de rapporter une vérité objective, à l’abri des pressions de toutes sortes.
« Le journalisme n’est pas un publicitaire, il est journaliste, a rappelé Tourigny. La publicité native peut représenter un bris du contrat social entre celui-ci et les citoyens, car il doit se placer comme représentant de ceux-ci. »
D’autres journalistes n’ont pas le choix de se prêter à l’exercice. L’imposition de la publicité native est parfois présentée de façon pernicieuse, ce que Mikaëlle Tourigny appelle la double contrainte du sauveteur et du naufragé (de la profession).
D’abord, on tente de convaincre les journalistes qu’ils parviendront à sauver leur profession en adhérant au modèle d’affaires de la publicité native. En permettant la survie financière du média, il assurera la sienne, mais aussi celle de l’industrie de l’information. Car qui dit revenus, dit avenir.
Ensuite, le journaliste découvre sa nature de naufragé. En acceptant de sauver sa profession par la publicité native, le journaliste dénature son métier. Il ne peut donc pas gagner. « Il a le sentiment de brader les impératifs de liberté, de vérité et de responsabilité (sociale) qui caractérisent la profession », élabore Tourigny, qui rappelle que « lorsqu’il est question de crédibilité de l’information, l’apparence de conflit d’intérêts est autant, sinon plus dommageable que le conflit d’intérêts lui-même. »
Cette présentation a été offerte dans le cadre du 85e congrès de l’ACFAS, tenu cette semaine à l’Université McGill.