Cette semaine, la Cour supérieure a tranché en faveur de plusieurs quotidiens (Le Soleil, La Presse et Le Devoir) contre la plateforme Web La Dose.ca. Ces médias réclamaient de la Cour une injonction interdisant au site de reproduire des extraits de certains articles, dont les titres et les leads (le premier paragraphe – crucial – d’un article de nouvelle), afin de générer du trafic et, conséquemment, des revenus. Un second site appartenant au même propriétaire, LaDose.pro, proposait pour sa part un service de veille médiatique payant basé sur un principe similaire.
Pour citer le collègue Jean-François Néron:
Le cœur du litige est l’interprétation de l’article 3 (1) de la Loi sur le droit d’auteur. «Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante […]»
Les demanderesses allèguent que le titre et le lead sont une «partie importante» de l’article (l’œuvre). Ils en constituent en quelque sorte le cœur et leur importance doit être considérée sur une base qualitative plus que quantitative.
Pour sa part, la défenderesse est plutôt d’avis qu’ils doivent être accessibles au public et que cette question doit être entendue devant un juge chargé de trancher le litige sur le fond.
L’argument de s’approprier les nouvelles pour les partager au nom de l’intérêt public n’a pas été retenu étant donné que LaDose tirait un revenu de cette appropriation.
Ce faisant, La Dose contrevenait à l’esprit de la Loi sur le droit d’auteur, a tranché le juge. Celui-ci estime qu’il n’est pas juste que la plateforme puisse tirer un revenu en utilisant, sans autorisation, le contenu, intégral ou en partie, des médias sans que ceux-ci n’en bénéficient aussi financièrement.
Cette victoire peut sembler bien petite, puisque La Dose n’est qu’un parmi de nombreux autres sites usant du même stratagème pour s’enrichir sans débourser pour créer du contenu, que ce soit via des abonnements ou par des revenus publicitaires générés par l’achalandage des Internautes. Certaines plateformes « vampires », comme le tristement célèbre SiverTimes, se trouvent hors du Canada et font fi de nos lois. Et que dire du combat que mènent les médias de partout dans le monde, cherchant une solution à l’exode de leurs revenus vers des géants du Web tels que Google et Facebook, qui tirent des millions de dollars en profits grâce à la libre-circulation de contenus pour lesquels ils n’ont pas payé un sou?
Il n’en demeure pas moins que l’enjeu, lui, est gros, puisqu’il crée un nouveau précédent qui permettra aux médias de faire respecter leurs droits et leur propriété intellectuelle. Peut-être que cette décision amènera des munitions aux contentieux qui tentent de contrer cette vampirisation du contenu numérique…
Le jugement confirme que la disponibilité des contenus ne signifie pas que les plateformes médiatiques sont un buffet « All you can eat » pour ceux qui souhaitent s’enrichir sans investir dans l’information.
La décision rappelle donc essentiellement que cette dernière coûte quelque chose à produire et que ceux qui la produisent doivent être les bénéficiaires des retombées dudit produit.
Comme elle est intangible, immatérielle, on oublie trop souvent le temps et les ressources investis pour construire la nouvelle. Comme si le fait de ne plus avoir de support physique, comme un journal ou un magazine, rendait ce qu’il contient gratuit.
Car rappelons-le une énième fois, la rémunération « en visibilité » ne sauvera pas l’industrie des médias, tout comme elle ne mettra jamais de pain sur la table des pigistes.
Dans tous les cas, la décision de cette semaine est une excellente nouvelle pour les médias, car elle réaffirme la valeur d’un droit d’auteur, à condition de s’entendre sur QUI est l’auteur…