Les mois se suivent et les coupures dans les médias régionaux se poursuivent. Le Soleil, quotidien de la ville de Québec du Groupe Capitales Médias, est le dernier en liste, alors qu’on apprend qu’environ 25 emplois disparaîtront, dont une quinzaine dans la salle de rédaction – le quart de tous les emplois de journalistes! – , dans le cadre d’une restructuration douloureuse, mais nécessaire.
Je compatis de tout cœur avec mes collègues de la capitale, autant avec ceux qui partiront qu’avec ceux qui resteront et qui en auront un peu plus sur les épaules l’an prochain.
Est-ce là le signe que la fermeture est imminente et inévitable? Pas du tout. Il n’y a pas de restructuration annoncée dans les autres quotidiens du groupe. La décision de la direction représente une nouvelle tentative de se repositionner alors que les revenus publicitaires continuent de dégringoler au profit de Facebook, Google et compagnie.
« J’entends déjà les commentaires: «Ça va mal au Soleil». Non, non. Ça va mal dans le monde des médias et la presse écrite est sur la ligne de front. Mercredi, c’était Le Soleil. Il y a un mois c’était La Presse. Le Devoir s’arrache la vie et Québecor fait semblant que tout va bien. C’est comme ça partout sur la planète. La question est de savoir qui sera le prochain », écrivait mon collègue du Soleil Jean-François Néron sur sa page Facebook.
C’est tout à fait juste. Chaque fois que des emplois dans un journal disparaissent, on se désole, avec raison. Il s’agit de décisions d’affaires qui ont des impacts sur la vie d’humains.
J’ai souvent dénoncé ici la primauté des décisions d’affaires sur la mission d’informer des médias lorsque certaines entreprises de presse ont choisi de se départir de leurs journaux plutôt que de les maintenir en vie. Évidemment, comme je suis à l’emploi de Groupe Capitales Médias, on pourrait m’accuser de prendre parti en faveur de mon employeur et de ne pas porter le même jugement sur cette nouvelle. Je pense encore qu’une entreprise de presse doit trouver l’équilibre entre sa quête de revenus et le service de l’intérêt public, même si parfois, ces deux concepts semblent incompatibles.
Ce qui me préoccupe, c’est l’avenir de l’information. Et pour offrir de l’information de qualité, il faut des journalistes.
Il serait tellement plus simple pour des patrons de presse, qui voient les revenus fondre comme neige au soleil, de mettre la clé sous la porte et d’éviter des pertes supplémentaires. Mais non. Certains persistent. Ils se réorganisent dans l’espoir de sauver les meubles, car ils croient encore en la mission d’informer. Oui, il y a moins de journalistes; oui, l’information régionale s’effrite; oui, la démocratie en souffre. Mais j’ai envie de garder espoir. J’ai envie de croire que ce sacrifice permettra au Soleil de vivre encore longtemps et d’éviter le triste sort de dizaines, et même de centaines d’autres journaux au Canada. Comme d’autres médias ont fait ce sacrifice avant lui.
La recette miracle pour renverser la vapeur n’a pas encore été trouvée. En attendant, plusieurs réclament l’aide de l’État pour se garder la tête hors de l’eau. Si rien n’est fait, alors là, il sera peut-être trop tard.
Encore une fois, il faut rappeler que l’information, la vraie, a une valeur et un coût. Si Facebook, Google et les autres ne paient pas un sou pour financer celle-ci alors qu’ils profitent de l’achalandage que les nouvelles génèrent sur leurs plateformes pour empocher les revenus publicitaires qui autrefois appartenaient aux médias traditionnels, si les lecteurs ne paient plus pour s’informer parce que les reportages sont disponibles gratuitement sur Internet, comment peut-on espérer que les médias puissent poursuivre leur mission?
Évidemment, il se trouve toujours un adversaire pour profiter de la situation pour mettre de l’huile sur le feu d’une guerre tout aussi corporatiste que partisane. Or, la crise des médias qu’on connaît actuellement n’épargne absolument personne dans l’industrie. On peut bien tenter de faire croire à tous que certains journaux s’en tirent mieux que les autres, ce qui peut être le cas; on ne peut toutefois nier qu’ils sont eux aussi affectés par la crise qui décime peu à peu le paysage médiatique québécois.
Ce qui est dommage, c’est que plutôt que de faire front commun et d’être solidaires dans une tentative de freiner l’hémorragie, cette attitude divise. Se réjouir des embûches d’un concurrent, dans l’état actuel des choses, c’est nier que le danger nous guette, nous aussi.