Récemment, plusieurs observateurs des médias ont critiqué le travail des journalistes et leur ont reproché d’avoir révélé trop de détails concernant le contexte du décès du comique, qui a trouvé écho dans les médias sociaux. Depuis sa mort, on tente d’expliquer, de comprendre. Chaque nouvelle bribe d’information défraie les manchettes.
À ce propos, une lettre du lecteur rédigée par Louise Lapalme, dont la fille s’est enlevée la vie.
Je suis sidérée et indignée par la façon dont la plupart des médias ont traité la nouvelle du décès de Robin Williams en faisant grand étalage de tous les détails scabreux et pointus entourant la façon dont l’acteur a mis fin à ses jours. […]
Les médias détiennent un énorme pouvoir d’influence et ont une responsabilité sociale. Je me serais attendue à plus de discernement de leur part, écrit-elle ensuite.
Sur ce point, je ne saurais être plus d’accord. Certes, le bureau du coroner a dévoilé les informations sensibles lors d’une conférence de presse; il a d’ailleurs dû s’en défendre par la suite. Le sujet suscite la curiosité (morbide) du public, le personnage étant un de ses chouchous. Mais fallait-il tout rapporter? N’est-ce pas là du voyeurisme?
Comme il s’agit d’un suicide, peut-être aurait-il fallu se garder une petite gêne. J’ai moi-même ressenti un certain malaise en apprenant de quelle façon un des héros de mon enfance s’est enlevé la vie.
L’éthique journalistique veut que, quand il s’agit d’un geste volontaire et que l’individu s’étant enlevé la vie n’étant pas de notoriété publique, les médias passent la nouvelle sous silence. Souvent, la médiatisation d’un suicide provoque un effet d’entraînement qui est bien loin de la simple théorie.
Au Québec, on appelle ce phénomène « l’effet Gaétan Girouard« , du nom du défunt animateur de J.E., qui s’est pendu il y a une quinzaine d’années et dont le suicide avait fait grand bruit.
Dans une lettre ouverte parue en 2005, l’Association québécoise pour la prévention du suicide mentionnait ceci:
Le 14 janvier 1999, le journaliste-vedette de TVA mettait fin à ses jours, plongeant le Québec dans la stupeur. Six ans plus tard, une étude montre qu’il y a bel et bien eu un «effet Gaétan Girouard» sur les Québécois, qui ont choisi la mort en plus grand nombre dans les mois suivant ce décès. Des 1200 à 1300 personnes par année qui décident de mettre un terme à leur existence, ce nombre est passé à 1600 en 1999.
Survenue dans une période creuse pour les médias, la mort du journaliste avait fait les manchettes pendant deux semaines et avait fait l’objet de reportages jusqu’à neuf mois après l’événement. Le coroner en chef de l’époque avait d’ailleurs invité les médias à tempérer leurs ardeurs, mais en vain. Résultat: la frange la plus vulnérable de la population n’a pas su résister aux sirènes de la Grande Faucheuse.
Un autre texte très intéressant du Conseil de Presse ici. Comme on le souligne, en parlant de suicide, les médias n’encouragent pas les gens à commettre l’irréparable. Mais ils leur rappellent l’existence de cette possibilité.
En présence d’un cocktail explosif, les médias peuvent agir comme une bougie d’allumage. « C’est comme ouvrir une route et dire : “ Vous pouvez faire de la vitesse “. Mais il n’y a plus de garde-fous. Il y a des gens qui risquent de prendre le bord du champ. »
C’est un constat qui s’applique aussi sur les reportages concernant les drames familiaux, de même que certaines tueries de masse perpétrées par des individus mal intentionnés. Que faire pour éviter que les journalistes ne dérapent, comme le dit Nathalie Collard?
Comme le souligne Mme Lapalme, les médias, et conséquemment les journalistes, ont une responsabilité sociale envers leurs auditoires. Il leur revient de déterminer s’ils doivent ou non s’imposer eux-mêmes un filtre dans la couverture journalistique d’un drame humain.
Avant de diffuser un reportage sensible, il faut toujours se poser certaines questions: par souci de rapporter fidèlement une situation, les médias doivent-ils nécessairement tout montrer? Est-ce d’intérêt public de savoir comment Robin Williams s’est donné la mort?
Parfois, il est élégant — et respectueux— de ne pas tout dévoiler, si ce qu’on garde pour soi n’est pas essentiel à la compréhension de l’histoire. Cela fait aussi partie de ce qu’on appelle « rendre service ».