Alors qu’on pensait avoir tout goûté, voilà qu’un autre coup de massue s’abat sur les employés de Radio-Canada. On a encore appris, hier, que d’autres centaines de postes seront abolis, à terme.
De quoi démoraliser les quelques optimistes qui demeuraient positifs dans l’industrie des médias, malgré la succession de mauvaises nouvelles qui nous accablent depuis quelques semaines. Je ne vous apprends rien: l’avenir ne s’annonce pas lumineux, chers collègues.
En même temps que les syndicats s’époumonnent à dénoncer la situation, plusieurs observateurs ont été nombreux à déplorer le fait que ces coupures semblent se faire dans la plus totale indifférence, que personne n’ose élever la voix contre le saccage qui s’opère dans l’industrie de l’information, plus particulièrement au sein du télédiffuseur public.
Qu’est-ce que ça va prendre pour que la majorité silencieuse sorte de sa torpeur? demande Hugo Dumas, de La Presse. Il faut dire que certaines décisions prises récemment n’ont pas aidé à faire grimper la cote d’amour de Radio-Canada. Le passage raté à l’appellation ICI a coûté cher pour très peu de résultats convaincants. Pourtant, les personnes qui ont orchestré ce fiasco marketing occupent toujours leurs postes de direction. Ce sont elles qui devraient écoper, à mon avis. Pas les jeunes travailleurs qui s’accrochent au pont de ce Titanic médiatique sur le point de couler.
L’heure est grave. Mais le problème, c’est que le syndicat de Radio-Canada a beau tirer la sonnette d’alarme, les artisans de Radio-Canada ont beau pousser les hauts cris, la population en général, elle, n’a toujours pas vu les conséquences de ces coupes à l’écran, à la radio, et encore moins sur le Web. Le Web qui sort d’ailleurs grande gagnante de cette annonce d’hier puisque la direction promet du même souffle de doubler sa présence sur ses plateformes numériques. Personne ne peut être contre ça… note pour sa part Éric Parazelli du Blogue Média TV.
Mais comme plusieurs ont soulevé dans cette tribune du collègue Gilbert Lavoie, le véritable enjeu, actuellement, n’est peut-être pas l’accès à l’information, mais la qualité de l’information, ou plutôt sa mort annoncée à force de coupures. Peut-être est-ce ce qui explique ce qui semble être un désintérêt pour le sort des médias par le grand public. C’est un débat qui va bien au-delà de la seule situation de Radio-Canada; il s’étend sur toute l’industrie médiatique et requiert une profonde réflexion sur l’avenir.
Grâce au numérique, il n’a jamais été aussi facile de trouver des contenus, d’en créer et d’en partager. Internet a fait en sorte que quiconque peut désormais accéder à des tonnes de documents et d’archives peu importe (ou presque) il se trouve sur la planète.
En même temps, puisque quiconque est créateur de contenu, quiconque peut être créateur d’information. Or, la seule distinction qui différencie les véritables journalistes des autres, les journalistes citoyens, est le sceau de qualité et de crédibilité que leurs procurent les médias pour lesquels ils œuvrent.
L’information, c’est ce qui permet aux gens de devenir de meilleurs citoyens. C’est ce qui leur permet d’être au fait de ce qui se passe dans la société où ils ont choisi de s’établir, et ce qui leur permet d’y prendre part de façon active. C’est ce qui les sort de l’immobilisme et ce qui fait avancer les peuples. L’information est à la base des démocraties et pour cette raison, aucune nation, aussi grande ou petite soit-elle, ne doit la miner; autrement on prend le risque d’un important recul.
Ainsi, on ne peut compenser les coupures en information par du divertissement, même si ce contenu est plus populaire auprès des publics et des annonceurs.
Difficile d’accepter sans broncher les coupures dans un secteur aussi fondamental. Après tout, il est question ici du droit à l’information. Et c’est un choix de société qui en découle. Oui, il faut s’inquiéter du sort des journalistes, réalisateurs et recherchistes qui n’auront plus d’emploi demain. Mais, il faut se préoccuper plus globalement de l’avenir de Radio-Canada. On semble s’attarder au numérique et à l’individu. L’obsession de la rentabilité est au cœur de cette restructuration. Est-ce vraiment ce que nous voulons pour la société d’État? Qui plus est, le futur de notre télévision s’ancre-t-il dans des émissions de divertissement grand public plutôt que des bulletins de nouvelles? interroge Léa Clermont-Dion.
Au final, que reste-t-il de nous, médias et leurs artisans?
C’est une image foncièrement négative d’une industrie où les entreprises sabrent à qui mieux-mieux sans sembler considérer que le produit qu’elles fabriquent vaut plus qu’une boîte de pois. C’est l’image tout aussi négative des travailleurs de l’information qui dérivent et qui se débattent dans les eaux troubles de leur avenir, déchirés entre les valeurs qui les animent et la réalité économique de l’industrie.
Et c’est aussi celle du public, spectateur de ce douloureux acte et qui, à force de voir ces coupures, pourrait finir par croire que l’information, ce n’est pas si important que ça.
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