Patrick Lagacé signe ce matin une chronique dans laquelle il raconte une rencontre qu’il a eue récemment avec deux agents de la Sûreté du Québec, désireux d’en savoir davantage sur les sources anonymes qui l’ont aidé, lui et des collègues, à sortir l’histoire sur la taupe du SPVM Ian Davidson. Évidemment, le chroniqueur a refusé d’identifier sa (ou ses) source(s).
La chronique a fait réagir la classe politique, mais la principale intéressée, la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, n’a pas voulu se compromettre.
Certains diront que M. Lagacé est courageux d’étaler ainsi les détails de sa rencontre avec les enquêteurs puisqu’il s’expose, de son propre aveu, à des accusations d’entrave au travail de la police. Mais dans les faits, il n’avait pas d’autre choix que de dénoncer cette rencontre, qui sent l’intimidation à plein nez.
Il est une règle d’or en journalisme que de protéger les sources anonymes, dont on tait l’identité pour leur éviter des représailles.
Un policier ne peut intimider un journaliste pour obtenir de lui le nom d’une source anonyme, si celle-ci pourrait subir d’importantes conséquences à la divulgation de son identité. La protection de celle-ci est un droit reconnu par la Cour suprême, au nom de l’intérêt public. Car on ne protège pas nos sources pour le plaisir. On les protège quand autrement, on ne pourrait obtenir les informations désirées. Et bien sûr, on n’accorde pas l’anonymat à tous vents; il faut avoir la conviction que cela est absolument nécessaire.
Autrement, comment aurait-on commencé à voir naître le scandale des commandites? Comment aurait-on donné naissance à la Commission Charbonneau? Et la fameuse histoire de la taupe Davidson? N’oublions pas le très célèbre Deep Throat dans le cas du Watergate, ou les fuites qui ont mené au scandale de Wikileaks. Sans des sources anonymes, beaucoup d’histoires d’intérêt public ne verraient jamais le jour.
Évidemment, les policiers qui mènent une enquête désirent mener celle-ci à bien en ayant toutes les informations disponibles. Mais l’article du journaliste, qui contient des faits vérifiés, ne suffirait-il pas comme preuve? Demanderait-on à un scientifique qui a mené une recherche étoffée de lui soumettre la liste de tous ses sujets afin d’interroger ceux-ci un par un pour s’assurer que le résultat de la recherche dont ils ont fait l’objet est exact? Bon, cette comparaison est un peu tirée par les cheveux, mais…
Déjà, en 2012,la FPJQ demandait au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Robert Dutil, de garantir que les journalistes ne seront pas la cible d’écoute ou d’enquête quant aux sources qui ont mené au dévoilement de l’affaire Davidson.
Trois jours plus tard, le président de la FPJQ de l’époque, actuellement vice-président de l’organisme, Brian Myles, signait une lettre dans le quotidien Le Devoir, y allant des affirmations suivantes:
Les tribunaux ont reconnu à plus d’une reprise l’importance de la protection des sources et du matériel journalistique. Dans l’affaire «Ma Chouette», impliquant le journaliste du Globe and Mail Daniel Leblanc, en 2010, la Cour suprême a accordé une protection au cas par cas selon le test de Wigmore. Le secret des sources n’est pas absolu pour les journalistes; les tribunaux mettent dans la balance l’importance de la divulgation de la source pour l’administration de la justice et l’intérêt public à préserver sa confidentialité. Dans cet exercice d’équilibrage, une attention particulière est portée à l’intérêt élevé que porte le public au journalisme d’enquête.
Dès 1984, la Cour suprême a mis le holà aux perquisitions et aux fouilles abusives dans les salles de rédaction (Hunter c. Southam). Le principe a dû être réaffirmé en 1996 dans la cause de Juliet O’Neill, une journaliste de l’Ottawa Citizen dont la GRC avait perquisitionné le domicile pour découvrir ses sources dans l’affaire Maher Arar. À bon escient, la Cour supérieure de l’Ontario a cassé les mandats de perquisition et a invalidé un article de la Loi sur la protection de l’information, au nom de la liberté d’expression et de son corollaire: la liberté de presse.
Parfois, on a l’impression que les enquêteurs, voire leurs patrons, sont jaloux des journalistes, qui parviennent, à l’occasion, à obtenir plus de renseignements qu’eux.
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