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Surnoise, la publicité native?

On observe de plus en plus de cas de publicité native dans différents médias. Loin de n’être l’affaire que de petits journaux à faible moyens, on la remarque aussi dans les grands médias occidentaux, signe que c’est toute l’industri qui cherche à diversifier ses revenus pour survivre à la « crise ».

Un atelier sur le sujet a été offert en fin de semaine dernière dans le cadre du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Un retour d’abord sur ce qu’est essentiellement la publicité native: il s’agit de raconter des histoires pour le compte d’un annonceur, qui bénéficie alors de la crédibilité et de l’expertise de rédacteurs ou de journalistes.Le reportage peut traiter directement du client, comme un publireportage, mais parfois, la nuance est plus subtile: on ne fait pas, ou peu, mention de la marque dans le reportage.

« Le mur de Chine est indéfendable, trop grand, érodé, et les gens se tiennent dessus plutôt que de chaque côté, soulignait l’animateur Pierre Saint-Arnaud, journaliste à la Presse Canadienne. Peut-être faudrait-il le remplacer par un mur de Berlin, plus petit, mais plus étanche. »

Voilà qui mettait la table au panel, invité à discuter de la question. Mais avant d’aller plus loin, un tour d’horizon s’imposait.

Brian Myles, collaborateur à L’Actualité et professeur de journalisme à l’école des médias de l’UQAM, a rappelé que les revenus publicitaires des médias sont en chute libre depuis une dizaine d’années. Au Canada, en 2005, les revenus publicitaires des quotidiens totalisaient environ 3,7 milliards $; une statistique demeurée stable jusqu’en 2009, après quoi elle s’est rabaissée à 2,6 milliards $. Du côté des magazines, cela a plutôt fondu de 670 millions $ à 470 millions $, une baisse de 30% en une décennie.

Ainsi, le danger de la publicité native, rappelle M. Myles, c’est qu’elle « épouse les contours du média » en offrant une nouvelle source de revenus dont ces médias ont besoin. C’est à son avis, ce qui la rend pernicieuse: on ne peut plus, ou presque plus, distinguer un contenu commandité d’un contenu rédactionnel régulier.

Ce sont cette perte de revenus et la perte d’intérêt des consommateurs pour la publicité traditionnelle qui ont mené au mariage des deux domaines, engendrant ce nouveau modèle d’affaires.

Myles souligne ensuite cinq risques de la publicité native: une confusion croissante entre les genres journalistiques, une apparence de conflits d’intérêt, de favoritisme ou de partialité, de même qu’une perte d’indépendance et une perte de crédibilité. C’est donc dire à quel point cette pratique peut être dommageable pour les journalistes si elle n’est pas encadrée. Pour ces mêmes journalistes dont « l’âme » semble être à vendre au plus offrant.

On a cependant pensé à regarder de l’autre côté de la médaille, c’est pourquoi figurait au panel Luc-André Cormier, vice-président de l’agence Cossette Média. Selon lui, les publicitaires recherchent davantage l’influence sur le public qu’une portée pour leur message. Cela se traduit par un environnement propice pour faire passer ce message, d’où le choix de miser sur des contenus plutôt que sur la publicité traditionnelle.

On cherche à atteindre les valeurs des consommateurs susceptibles de se procurer nos produits, c’est pourquoi le contenu leur étant présenté est porteur: utile, éducatif, empathique, voire militant.

Par ailleurs, plus nécessaire de passer par les grands médias, allègue le publicitaire. Conséquence de la démocratisation Internet, un blogue amateur, mais populaire, peut faire l’affaire s’il rejoint exactement le public ciblé. Les marques sont aussi de plus en plus nombreuses à développer leurs propres plateformes de contenu. D’un autre côté, souligne M. Cormier, si les marques parviennent à rejoindre elles-mêmes leurs auditoires, il est peu probable qu’elles investissent en publicité native, voire en publicité tout court.

Julie Cailliau, chef de publication chez Les Affaires, a pour sa part expliqué les tenants et aboutissants de la publicité native telle qu’expérimentée dans sa boîte. Pour elle, il importe qu’existe une démarcation claire entre les contenus publicitaire et rédactionnel, c’est pourquoi aucun journaliste de la salle de rédaction ne s’implique dans la rédaction de textes destinés à la publicité native. Cette distinction est le seul rempart permettant de préserver la crédibilité des journalistes. Et celle-ci  ne sert pas que le média, mais aussi l’annonceur.

Tout cela représente un idéal théorique auquel il faut tenter de se conformer le plus possible: Mme Cailliau a toutefois reconnu qu’aucune mention n’indique qu’un sujet de reportage a été choisi de concert avec l’annonceur qui s’affiche en bas de page.

À La Presse, le débat a donné lieu à une lettre d’entente balisant la pratique de la publicité native. Le président du syndicat des journalistes Charles Côté, soulève le risque des plateformes gratuites comme La Presse + : entièrement financées par la publicité, celles-ci permettent une plus grande pression de la publicité sur les contenus.

Chez eux, les contenus de publicité native sont regroupés dans la section Xtra, bien identifiée. Malgré tout, un sondage a permis de réaliser que les lecteurs, en très grande majorité, ignoraient qu’il s’agissait d’une section promotionnelle.

En vertu de l’entente survenue à La Presse, les rédacteurs ne peuvent se présenter comme journalistes s’ils écrivent pour Xtra; ces textes ne sont d’ailleurs pas signés. Des engagements difficiles à contrôler, reconnaît M. Côté.

Enfin, la « productrice de contenus » Suzanne Dansereau, qui signait dans le Trente quelques textes sur la publicité native, croit qu’il s’agit d’un débouché pour les jeunes journalistes, qui peinent à se trouver un emploi dans le domaine. À ses yeux, le marketing de contenu est un genre de journalisme qui ne dérange pas, contrairement aux reportages traditionnels qui sont là pour « brasser de la merde ».

« Maintenant que l’information est commercialisable, sera-t-elle toujours d’intérêt public? », a-t-elle demandé. Une question qui porte à grande réflexion. Et de la poser, c’est y répondre.

À mon avis, même si elle s’effectue en parallèle du contenu rédactionnel régulier, la publicité a un impact sur ce dernier et ce, dès qu’on répond par la négative à ces questions:

  • Sans commandite, en aurait-on parlé quand même?
  • En aurait-on parlé de la même façon?

C’est pourquoi il importe de bien distinguer les deux types de contenu; autrement, on induit volontairement le lecteur en erreur et le lien de confiance qui le lie au média est rompu.

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