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Médias et COVID-19: pour des solutions collectives et durables

Depuis la parution de mon dernier billet, traitant de l’hécatombe dans l’industrie québécoise des médias à la suite de l’effondrement publicitaire provoqué par le ralentissement économique imposé par la pandémie de la COVID-19, les gouvernements, qui ont qualifié ces médias de « services essentiels » ont fini par réagir et par annoncer certaines mesures de soutien pour permettre aux travailleurs de l’information de poursuivre leur mission.

Déjà, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il redirigerait « une grande partie » des 30 millions de dollars prévus en investissements publicitaires dans le cadre d’une large campagne de sensibilisation sur la COVID-19 vers les médias traditionnels. Un premier pas dans la bonne direction, compte tenu qu’il ne s’agit pas d’argent neuf, ces sommes étant d’abord majoritairement destinées aux GAFAM, les grandes plateformes américaines accaparant près de 80% des revenus publicitaires en ligne au pays et dans la province. Le montant de 30 millions de dollars est toutefois insuffisant pour pallier à toutes les pertes subies par l’ensemble des médias du pays.

De plus, le comité chargé d’évaluer les critères d’admissibilité aux différents crédits d’impôt destinés aux médias d’information – soient sur la masse salariale des journalistes, l’abonnement à des médias numériques et des dons de charité aux médias constitués en OBNL – a été finalement mis sur pied. Ce n’est pas trop tôt, compte tenu que ces crédits avaient été annoncés pour la toute première fois en novembre 2018.

À Québec, les investissements publicitaires ont été triplés et concentrés dans les médias québécois, alors que le traitement des crédits d’impôt sur la masse salariale des journalistes a été accéléré histoire de donner un peu d’oxygène aux entreprises de presse.

Ça n’a pas empêché certains décideurs de faire une jambette aux médias en ces temps difficiles, comme l’agglomération de Longueuil qui souhaite retirer ses avis publics des journaux hebdomadaires de son territoire. Il n’y a rien d’étonnant à cette décision, une mesure adoptée par plusieurs dizaines de municipalités depuis l’entrée en vigueur de la loi 122 qui leur permet d’afficher leurs avis uniquement sur leur site et à l’hôtel de ville.

Mais le timing de cette décision, qui heureusement ne fait pas l’unanimité, est bien étrange, alors que les élus souhaitent mettre en place des mesures de soutien aux entreprises locales pour leur permettre de survivre au-delà de la pandémie.

Cela met une fois de plus en relief qu’on a tendance à oublier que les médias sont eux aussi des entreprises locales employant de la main-d’oeuvre qui permet elle aussi de faire tourner l’économie locale.

J’en avais glissé un mot dans mon essai Extinction de voix, mais aussi régulièrement sur ce blogue: cette loi permet aux villes de faire des économies de bout de chandelle, parfois de 1% ou moins de leur budget, mais avec pour conséquence un accès moins direct à la population pour des informations pourtant d’intérêt public, donc un déficit démocratique.

S’il y a quelque chose qui importe en ces temps incertains, c’est la libre circulation de l’information.

Pas de solution à l’emporte-pièce

Si les mesures annoncées par les gouvernements permettront à quelques médias de poursuivre leurs activités pendant quelques mois de plus, mais à plus long terme, ils sont loin d’être tirés d’affaire.

Déjà affaiblis par un recul important de leurs revenus d’abonnement et par une chute dramatique et accélérée de leurs revenus publicitaires, les médias continuent, parfois même de façon déficitaire, à opérer au nom de l’intérêt public.

L’épisode de la COVID-19 aura permis de démontrer au monde entier le rôle essentiel des médias au quotidien en temps de crise, mais cela ne suffira pas à leur faire retrouver le chemin de la santé financière.

Les solutions à l’emporte-pièce n’auront qu’un effet ponctuel et limité. Les mesures de soutien aux médias d’information, qu’ils soient du secteur de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, doivent s’inscrire dans un plan de relance durable élaboré par le milieu de l’information lui-même, avec la concertation des divers partenaires et gouvernements.

Déjà, d’un côté, la Fédération nationale de la culture et des communications (FNCC) et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ont mis sur pied des cellules de crise afin de dresser un portrait des impacts de la situation actuelle sur l’industrie de l’information et pour réfléchir à des pistes de sortie de crise.

Ces pistes doivent être concrètes, facilement applicables et avoir des répercussions durables.

Les médias d’information – professionnels, de qualité et rigoureux- doivent redevenir un moteur économique, tout simplement parce que l’information est un bien public malheureusement pris pour acquis et discrédité par un trop grand nombre de personnes.

D’abord, les gouvernements doivent maintenir leurs investissements publicitaires dans les médias québécois et canadiens, comme ils le font pendant la crise, et cesser de privilégier des entreprises américaines ne payant pas de taxes et d’impôts chez nous. Si Québec et Ottawa sont capables de concentrer leurs investissements publicitaires dans les médias traditionnels pendant la crise, ils ont fait la démonstration qu’ils pourraient le faire en tout temps et que la volonté politique est au coeur de cette solution.

De plus, pourrait-on ENFIN imposer une taxe ou une redevance aux GAFAM, ces géants du Web américains pour la plupart, qui s’enrichissent allègrement grâce au trafic généré par des contenus médiatiques canadiens et québécois sans leur verser le moindre sou en retour? La France l’avait déjà fait, et l’Australie vient d’annoncer une telle mesure pour forcer ces gros joueurs à partager les revenus publicitaires.

Rappelons du même souffle que les deux paliers de gouvernement s’étaient engagés à taxer les GAFAM à hauteur de 3% – un engagement électoral dans le cas de Justin Trudeau – une promesse repoussée du revers de la main en attendant un rapport de l’OCDE sur le sujet.

Avec ces sommes, pourrait-on mettre sur pied un fonds permanent dédié à la couverture journalistique des enjeux d’intérêt public dans les différentes communautés?  Ce fonds pourrait aussi être alimenté par des dons citoyens, avec ou sans crédit d’impôt,à la manière de la plateforme française J’aime l’info.

Pourrait-on bonifier le programme Initiatives de journalisme local, qui permet au moment où j’écris ces lignes de subventionner le salaire de journalistes dans des régions peu ou mal desservies afin qu’ils couvrent différents enjeux dont les reportages sont ensuite rendus disponibles dans un bassin offert à tous les médias qui y participent. En plus du caractère géographique, ce programme pourrait ajouter un volet pour la couverture de secteurs d’actualité (beats) peu traités dans les médias, ce qui permettrait à des pigistes spécialisés sur ces questions pointues de tirer leur épingle du jeu.

Outre le partage des contenus, serait-il envisageable pour des médias de tout acabit de constituer, à l’image de ce qui se fait en radio ou en télévision ou à travers des agences, une régie publicitaire où les annonceurs pourraient obtenir de la visibilité dans plusieurs plateforme à la fois sans avoir à contracter des ententes individuelles avec chacun de ces médias? Des économies d’échelle pourraient être générées pour ces annonceurs qui, en retour, reviendraient au bercail chez les médias qui ont grandement besoin de ces revenus publicitaires.

Pourrait-on également voir naître des crédits d’impôt pour les investissements publicitaires réalisés par les entreprises canadiennes et québécoises dans les médias d’ici? Depuis une dizaine d’années, bon nombre d’annonceurs ont délaissé les médias traditionnels au profit des GAFAM, qui offrent une visibilité en théorie plus ciblée et beaucoup moins chère. Cet incitatif fiscal, s’il n’est accordé que lorsque les investissements  dans les médias québécois représentent le deux tiers ou plus de l’assiette publicitaire d’une entreprise, par exemple, pourrait encourager celle-ci à revoir sa stratégie de communication au profit d’un marché plus local.

Dans un autre ordre d’idées, serait-il possible d’envisager une bonification du crédit fédéral d’impôt pour un abonnement à un média canadien pour encourager la population à s’informer davantage? Ce crédit d’impôt pourrait être d’un certain pourcentage pour l’abonnement à des médias de couverture nationale, auquel pourrait se greffer un autre crédit d’impôt complémentaire pour les abonnements à des médias locaux, afin d’éviter que ceux-ci ne soient défavorisés au profit des plus gros joueurs qui disposent d’un capital d’attraction plus grand en raison de leur marché plus étendu.

La gratuité ne pourra plus être une option pour de nombreux médias. Il y a fort à parier que des murs payants vont voir le jour d’ici quelques mois.

L’éducation aux médias doit aussi faire partie de la solution à long terme. Des programmes comme #30secondesavantdycroire mis sur pied par la FPJQ doivent être soutenus et déployés à plus grande échelle. Pourquoi ne pas mettre en place un incitatif financier ou un crédit d’impôt pour favoriser l’utilisation des médias professionnels d’information dans le parcours scolaire des élèves? Les plateformes sont diversifiées, les contenus sont infinis et la consommation de médias, dès un jeune âge, permet aux individus de devenir de meilleurs citoyens et d’apprendre à bien s’informer.

Comme société, il est de notre devoir de revaloriser le rôle des médias comme outil démocratique et de connaissances. En les soutenant collectivement, nous nous donnons aussi le droit d’exiger davantage d’eux.

Offrons-nous ce privilège.

1 réflexion au sujet de “Médias et COVID-19: pour des solutions collectives et durables”

  1. Excellent plaidoyer pour la presse locale Mme Martel. Je dis plaidoyer parce qu’il y a beaucoup à faire pour remonter la côte, et ramener les journaux dans les habitudes de lectures des citoyenns, et dans les réflexes de publication des municipalités et des commerçants. Beaucoup aussi, comme vous l’avancez, d’éducation à faire sur le rôle des médias dans notre société. Défi d’autant plus grand, que la présence des médias sociaux permet à n’importe quel quidam de s’improviser spécialiste ou chroniqueur sans même connaître les bases du sujet qu’il traite. On a qu’à constater le nombre de gérants d’estrade qui sévissent pendant cette gestion de mesures d’urgence du COVID-19.

    Par ailleurs, les patrons de presse, autant dans la presse vendue que distribuée, ne se sont pas aider, alors que la compétition était locale, en ayant des prix de publicités qui étaient trop chers pour beaucoup de commerçants. L’avénement de logiciels d’édition conviviale leur permettaient de produire leurs propres publicités et pourtant elles leurs coûtaient toujours aussi chères et même plus. Bien sûr, le lectorat pouvait justifier le prix, mais il était inaccessible pour plusieurs commerçants. Arrive, le méchant ogre, Facebook. Bien des commerçants accédaient ainsi au marché publicitaire avec des coûts qui répondaient à leurs besoins. Autre exemple, les avis publics des municipalités. Avant l’avénement des traitemements de textes, il était amplement justifié que les tarifs pour les avis publics soient supérieurs aux tarifs de la publicité, puisque ça demandait un travail supplémentaire au montage. (Je le sais, j’ai connu le « paste-up » collé sur la maquette, LOL). Pourtant, quand les municipalités ont commencé à envoyer par courriel, les textes tout prêts, qui n’avaient qu’à être mis en page, diminuant les coûts d’édition, bien des journaux ont maintenu leurs tarifs plus élevés que pour la publicité ordinaire. La loi 122 a donc permis à bien des municipalités de se sentir justifiées de revoir leur politique de publications des avis publics.

    La diminution des revenus a bien évidemment apporté son lot de coupures budgétaires et pour bien des journaux, les salles de presse en ont payé le prix. Puisque pour certains propriétaires, la rédaction des articles avaient plus pour mission de boucher les trous entre les publicités que d’informer. Et ça demeure le paradoxe de notre presse locale. Surtout celui de la presse locale distribuée gratuitement. Et les citoyens ne sont pas dupes. Les médias sociaux sont venus distorsionner la perception des gesn face aux médias. Bref. Vous avez raison, il faudra trouver une façon de ramener la presse locale dans les priorités de notre société dans un contexte difficile, où l’accent dans les prochaines années sera mis sur la reprise d’une économie actuellement mise à mal. Ce défi devra être l’affaire de tous, si nous voulons que la presse locale puisse continuer de jouer son rôle de temporisateur dans notre société et au sein de nos communautés.

    Sylvain Lapointe
    Marieville

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