Depuis quelques mois, qu’on parle de fermetures de journaux, de postes de journalistes abolis ou même de traitement journalistique d’une nouvelle controversée, les médias ne sont plus que des témoins du monde qui les entourent; ils sont devenus eux-mêmes des acteurs dans le long métrage qu’est la vie en société.
D’un côté, on peut expliquer le phénomène par le fait qu’en tant qu’entreprises de presse, les médias s’observent les uns les autres. Par concurrence, on tente de mettre le doigt sur le bobo de l’autre. Mais en bout de ligne, les médias se discréditent eux-mêmes et se nuisent plus qu’ils ne contribuent au débat public en se cherchant des poux les uns et les autres.
De l’autre côté, les médias font eux-mêmes la manchette en raison de la crise existentielle que traverse la société actuellement, et où toutes les structures en place sont remises en question. Le cynisme qu’entretient le public à l’égard des journalistes, d’apparence croissante malgré la confiance qu’on leur accorde, démontre l’urgence pour les médias de bien se redéfinir.
Qu’attend-on maintenant de nos médias? Quel doit désormais être leur rôle? Veut-on encore d’une presse régionale forte? Veut-on encore des médias généralistes? sont quelques-unes des questions auxquelles il faudra répondre tôt ou tard et sur lesquelles les patrons de presse semblent se pencher.
Plusieurs cas récents nous démontrent qu’on prend l’information pour acquise, qu’on ne l’apprécie pas à sa juste valeur et qu’on saisit de moins en moins bien son rôle dans la construction des débats collectifs.
L’information avec un grand I se fait de plus en plus rarissime, même si nous nous battons pour qu’elle survive; place aux contenus de divertissement. Je ne me souviens plus qui avait fait cette brillante analogie, mais on comparait le tout au fast food de l’âme: la faim est apaisée, mais il n’y a pas là de grande valeur nutritive…
Ailleurs dans le monde, des journalistes et des blogueurs sont fouettés, tués, persécutés, parce qu’ils ont « osé » se faire entendre. Nous, en tant que société, on ne s’indigne presque plus quand des voix s’éteignent, compressions obligent.
Le problème, c’est que cette perception n’est plus seulement issue du public, mais aussi de l’intérieur de l’industrie. Faire plus avec moins, donner au public ce qu’il demande, avant de penser à faire de lui un citoyen éclairé et informé, tout ça pour survivre dans la jungle où la rentabilité fait la loi.
Dans Le Devoir, Jean-François Nadeau déplorait hier les investissements massifs dans les contenus « insignifiants », alors qu’on assiste, impuissants, à des coupures sauvages dans l’information:
Les médias ont fléchi partout devant un vaste mouvement de subordination aux grands intérêts qui les contrôlent et qui menacent désormais de les emporter. Et cela est dû en bonne partie à leur incurie à défendre les valeurs premières de leur mission.
C’est dans ce contexte global, me semble-t-il, un contexte de plus en plus tenu partout pour normal, qu’il faut penser à situer les attaques livrées contre Radio-Canada ou encore contre de trop rares journaux indépendants comme Le Devoir. La défense du droit à une information digne de ce nom est devenue curieusement une affaire de résistants. C’est en somme ce que j’ai tenté d’expliquer à Ottawa, vendredi dernier, dans le cadre d’un grand atelier de l’Institut Broadbent.
Pourquoi notre société accepte-t-elle qu’on subventionne grassement des imprimés insignifiants, ceux précisément que les épiciers jugent bons de vous offrir en priorité en guise d’alimentation intellectuelle ? Cette année, Patrimoine canadien a accordé des subventions de 1,4 million à 7 Jours, de 627 523 $ à Échos vedettes, de 218 721 $ à Allô Vedettes, de 463 299 $ au magazine Le Lundi, de 167 976 $ à Dernière Heure, puis de 354 197 $ aux recettes du magazine Ricardo. Décidément, il n’y a pas que les récentes manœuvres militaires des Russes dans l’arctique qui indiquent que nous perdons vraiment le nord.
Le sort que l’on réserve à Radio-Canada ou encore au Devoir illustre de façon éclatante une réalité cinglante. Les chants d’amour seuls n’y pourront rien changer : il faut des actions structurelles concrètes pour endiguer le recul de l’information.
On a dit souvent, ces derniers temps, qu’un média n’est pas une compagnie comme les autres et qu’on ne peut donc pas mesurer sa productivité comme celle d’une usine de « cannes de bines ».
En ce sens, l’information, la vraie, est trop souvent perçue — à tort — comme une dépense, parce qu’on n’y trouve pas de retour sur investissement au sein même de l’entreprise de presse. Mais ce retour peut-il être intangible et se retrouver dans toutes les sphères de la société?
Un droit de vote exercé au terme d’une longue réflexion, un débat nourri d’idées et qui nous permet d’avancer, une meilleure connaissance de notre monde et, conséquemment, de nous mêmes. De nouveaux intérêts, de nouvelles passions, et pourquoi pas un désir de s’impliquer, de changer les choses pour le mieux?
Ne sont-ce pas là des manifestations concrètes de notre rôle, comme acteurs dans les médias? N’est-ce pas là l’idéal pour lequel nous sommes nombreux à nous être engagés dans cette voie et pour lequel nous y sommes encore?