Mardi, dans le cadre de la Journée internationale de la liberté de la presse, avait lieu à Québec le colloque « L’information: le 4e pouvoir sous pression », organisé par la Fédération nationale des communications, en collaboration avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le Conseil de presse du Québec et le Centre d’études sur les médias.
Journalistes, syndicats, patrons de presse, chercheurs, enseignants, étudiants et observateurs du journalisme se sont réunis pour tenter de répondre aux questions suivantes: quelles sont les menaces pour la qualité de l’information dans les médias québécois et quelles seraient les solutions pour se sortir de la crise?
Il ne manquait que des représentants du grand public pour avoir touché à tout. Un son de cloche provenant de l’extérieur aurait pu apporter un petit quelque chose de plus à cette journée déjà fort chargée, mais qui aurait permis de voir la situation d’une toute autre perspective.
Les médias en état de crise
Le financement est le nerf de la guerre, évidemment, alors que les entreprises de presse redoublent d’ingéniosité pour diversifier leurs revenus qui se raréfient. Un « jeu dangereux » qui pourrait nuire à la crédibilité des médias, selon Paule Beaugrand-Champagne, présidente du Conseil de Presse.
« Ce n’est pas juste une question d’entrepreneurs privés. C’est une question sociale et politique qui concerne tout le public », a-t-elle clamé.
La parole a ensuite été offerte aux chercheurs Pierre Trudel et Judith Dubois. Le premier est venu traiter des transformations de la régulation de l’information, qui est de plus en plus dictée par les technologies et le marché que par les normes sociales et l’État.
La seconde a abordé les différents facteurs d’influence sur la qualité de l’information tels que relevés par une centaine de journalistes. La diminution des ressources humaines, matérielles, financières et temporelles, les conditions de travail de plus en plus précaires et la concentration des médias ont selon les répondants une incidence négative sur la qualité de l’information. « L’expression faire plus avec moins et ce, de plus en plus vite, revient sans cesse », a commenté la professeure. En contrepartie, les innovations technologiques sont perçues comme des outils permettant aux journalistes d’accomplir encore mieux leur travail en plus de pouvoir interagir davantage avec le public.
La qualité de l’information est, selon les journalistes interrogés, déterminée notamment par la qualité de la recherche et de l’écriture de même que la clarté de l’information et le respect de la déontologie journalistique.
Pierre C. Bélanger a ensuite animé les quelque 100 participants avec une présentation sur la « net-amorphose » des médias, qui aurait été prévisible dès l’avènement d’Internet au début des années 1990. Le professeur titulaire s’est aussi fait l’avocat du diable quant à la menace d’extinction des médias traditionnels, rappelant que la mort de la presse, des tablettes, de la radio, des médias sociaux et de Facebook avaient été annoncées sans que cela ne se produise.
Il conseille aux journalistes et patrons de presse de s’inspirer de ce que ceux qui ne fréquentent pas de médias consomment en termes de contenus. « Ce n’est pas vrai que parce que tu fais quelque chose, que ça va trouver preneur », résume-t-il.
Renaud Carbasse, de l’Université Laval, a pour sa part parlé des nouveaux médias qui émergent alors que même les gros joueurs peinent à tirer leur épingle du jeu. « Ces nouveaux acteurs offrent un nouvel angle et cherchent à compléter l’offre médiatique en apportant de nouveaux types de contenus », a-t-il affirmé. Selon lui, les médias émergents prennent davantage de risques malgré leurs moyens plus limités et sont en ce sens un laboratoire intéressant pour de nouvelles avenues médiatiques.
La table était mise pour la suite. Bien que fort intéressante et instructive, cette première demi-journée a surtout servi à dresser des constats de la situation actuelle, que les acteurs du monde des médias connaissent déjà bien. Il aurait été agréable de passer plus vite aux solutions et aux interventions pratiques.
Tir groupé contre les géants
Plusieurs intervenants ont identifié Facebook et Google comme les principales menaces à la pérennité de l’information. Grâce à un algorithme reconnaissant les préférences des Internautes, ces deux géants du Web peuvent proposer à leurs utilisateurs des contenus qui cadrent avec leurs intérêts, et ainsi générer d’importants revenus publicitaires sans pour autant verser de redevances.
Les contenus médiatiques perdent leur valeur marchande, a rappelé Nellie Brière, consultante en stratégie de communications numériques et médias sociaux. Selon elle, il faut apprendre à comprendre ces algorithmes et les déjouer, mais surtout, se montrer plus fermes envers ceux qui les mettent en place en réclamant qu’ils paient leur juste part.
Directeur général de la firme MCE Conseils, Claude Dorion est venu présenter une étude comparative du financement des médias. Plusieurs pays d’Europe investissent en effet dans leurs entreprises médiatiques ou financent l’abonnement de certaines tranches de la population. À titre d’exemple, la Finlande investit 92$ par habitant pour l’information alors que le Canada n’injecte qu’un maigre 3$, en moyenne.
« Ça va prendre des décisions courageuses », a annoncé le conférencier, pour aborder différentes pistes de solutions pour amoindrir ce qu’il appelle « le glissement des revenus entre des producteurs de contenus vers les opérateurs de contenants ». Il propose notamment d’élargir les redevances versées aux télédiffuseurs à toutes les entreprises médiatiques, de taxer les services internet et l’achat de certains équipements électroniques ainsi que de taxer les entreprises qui utilisent les infrastructures médiatiques. Des crédits d’impôt sur la masse salariale des médias, qui pourrait être plus grande pour les médias régionaux et l’intégration des médias d’information dans le Plan culturel numérique du Québec ont aussi été avancés comme alternatives.
Taxer Google et Facebook serait la solution directe et logique, avance M. Dorion, mais il s’agit là de tout un défi politique. « Tôt ou tard, les Netflix, Google et Facebook devront s’impliquer », croit-il cependant.
Pour l’intervention de l’État
Plusieurs invités ont exprimé le souhait que l’État intervienne financièrement auprès des médias. Certains réclament une aide financière directe, d’autres des crédits d’impôt sur les emplois. Mais tous s’entendent pour dire que cette aide ne doit pas mettre en péril l’indépendance journalistique.
Qu’importe si les journaux disparaissent, c’est l’information qui doit survivre, a lancé Claude Gagnon, président directeur général de Groupe Capitales Médias, qui justifie la situation actuelle par le fait que les modèles d’affaires n’évoluent pas au même rythme que la consommation de l’information.
Pour sa part, Éric Trottier de La Presse était le plus tiède à l’idée d’obtenir des subventions. « Si c’est pour maintenir des vieux modèles, c’est une mauvaise idée. Il faudrait que cela nous aide à nous transformer », a-t-il allégué, rejoignant les propos de Sylvia Cerasi de TC Média, qui affirmait quelques minutes plus tôt que des crédits d’impôt pour financer le virage technologique seraient bienvenus.
La présidente de la FPJQ, Lise Millette, a pour sa part soutenu que si aide de l’État il y a, il faut que cette aide soit pluraliste pour ne pas freiner l’innovation des médias, pour éviter de financier les missions de certains médias au détriment de d’autres. Qui plus est, cette aide financière serait-elle perpétuelle? Elle en doute: « les médias doivent parvenir eux-mêmes à diversifier leurs revenus. L’État ne doit pas devenir le deuxième panier dans lequel on met tous nos oeufs. »
Le président de l’Association des journalistes indépendants du Québec, Simon Van Vliet, a de son côté avancé qu’une aide financière aux médias est réaliste et nécessaire. Comparant un reportage à une oeuvre d’art, parce que l’information fait partie de notre culture, il a proposé d’élargir le modèle de financement culturel existant et d’y intégrer les médias.
Des journalistes mi-humains, mi-robots
L’idéal du journaliste multitâche a été abordé au cours du colloque. Plusieurs représentants syndicaux et des médias ont fait valoir que maintenant, les journalistes doivent savoir travailler sur toutes les plateformes, rapidement.
Du côté des journalistes, cette façon de faire nuit à la qualité de l’information, car le reporter investit un peu de temps sur chaque version plutôt que d’en développer une seule. « Réécrire trois fois la même histoire nous empêche d’arriver à un produit plus approfondi et plus intéressant pour le lecteur », a fait valoir Valérie Lessard, journaliste au Droit.
« Qui embrasse trop mal étreint. Il y aura un moment où la qualité du produit va se ressentir », a renchéri David Savoie, de Radio-Canada, qui prône une certaine spécialisation tant dans la couverture de l’actualité que dans les plateformes à maîtriser.
Les dirigeants de presse, confrontés à la question, ont tenu à se faire rassurants. Ils se disent pleinement conscients que les journalistes sont des humains, pas des robots. « Un journaliste doit être capable de tout faire, mais il ne peut tout faire en même temps », a souligné le directeur du Devoir Brian Myles.
Enfin, la précarisation des emplois a été soulevée. « Il n’y a jamais eu de cadre de négociation collective qui garantit des conditions aux pigistes, qui voient celles-ci se détériorer », a déploré M. Van Vliet.
Le fait que les jeunes journalistes soient toujours les premiers à faire les frais des compressions a aussi été noté. Et pourtant, la relève est un vent d’air frais qui doit faire sa place dans l’industrie. « Le statut de précaire n’est pas bon pour l’entreprise, parce que quand un journaliste surnuméraire quitte, l’expérience qu’il a acquise quitte aussi et n’est pas remplacée par le journaliste débutant qui finira par venir faire ses armes », a illustré M. Savoie.
Pour en savoir plus:
Aide étatique souhaitée pour les médias traditionnels
L’État doit-il soutenir les médias d’information?
Vidéo récapitulative du colloque
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